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Christophe Marzal: Le poker, miroir de notre société

Une série dont la trame s'articule autour d'une partie de poker, c'est le pari fou tenté par Light Night. Coproduite par la TSR , «10» fait figure d'ovni dans le paysage télévisuel suisse. Rencontre avec Christophe Marzal, directeur de production et scénariste.

Christophe Marzal, faut-il faire preuve d'audace pour se lancer dans la création d'une série en Suisse?
Lorsque la télévision recherche des séries, elle est avant tout sensible aux aspects identitaires et de proximité. L'appel d'offres ne mentionne donc pas «audace» parmi ses critères. Le public des chaînes hertziennes étant plutôt âgé, la tendance consiste à le conforter dans des schémas traditionnels, conventionnels. Si l'on veut être audacieux, encore faut-il réussir à convaincre...

Comment vos partenaires ont-ils reçu le projet?
«10» fait partie de la première génération de séries qui arrivent sur la TSR. C'est en 2007 que la chaîne a décidé d'arrêter de produire des téléfilms unitaires pour faire des séries. Il s'agit d'une nouvelle politique dont on commence à voir les fruits. C'est dans cette optique que la TSR a fait un appel d'offres d'envergure. De nombreux auteurs et sociétés de production se sont trouvés en concurrence. «10» fait partie des deux séries qui ont finalement été produites. Si elle engendre un certain attrait auprès de la chaîne, elle est aussi source d'inquiétude dans la mesure où elle se focalise sur le poker et qu'elle est traitée sur un mode réaliste plutôt que sur un mode comédie, plus usuel. La collaboration s'est ainsi toujours faite sur le fil. Mais au final on est heureux que la TSR nous ait suivis jusqu'au bout.

Comment a germé l'idée de dédier une série au poker?
Elle est née d'une succession de tilts qui m'ont fait prendre conscience de l'ampleur du phénomène de société. Il y a d'abord eu un documentaire sur des gens qui avaient tout quitté pour aller à Las Vegas, puis une publicité pour une mallette de jetons dans un quotidien. Le véritable déclic est survenu lorsque j'ai découvert qu'une importante institution suisse de formation continue proposait des stages de poker...

Un cadre de fiction idéal pour traiter d'une société érigée sur l'immédiateté...
Par son côté dur et capitaliste, le poker est en quelque sorte un miroir de notre société. Il possède une facette extrêmement violente: éliminer tous les autres pour être le seul gagnant. Si l'on ajoute à cela le mythe de l'argent facile, il n'est pas étonnant que le poker soit aujourd'hui autant à la mode... D'un point de vue dramaturgique, le poker en lui-même est un prétexte - au même titre que le funérarium dans Six Feet Under - pour faire évoluer des personnages. Personnages qui comme nous tous ont à cacher des choses, à négocier pour obtenir ce qu'ils veulent, à agir pour de mauvaises raisons. La base du poker consistant à masquer ses émotions pour tromper l'autre, il offre un terrain de jeu assez riche pour alimenter une fiction.

Crédit photo: Light Night Production

La dramaturgie de «10» s'inspire-t-elle de la série Lost?
Elle est effectivement assez comparable. Dès qu'on a pensé à cette partie de poker, la structure en flash-back s'est rapidement imposée. C'était comme un puzzle, comme un jeu où nous construisions progressivement nos personnages. Cette approche permet de sans cesse réinventer et de surprendre le téléspectateur.

Le scénario s'articule autour de 10 joueurs représentant autant de groupes sociaux. Une façon d'obtenir une plus large adhésion du public?
L'image du poker demeure associée à un lieu sombre, clos, avec des gens louches qui boivent du whisky et fument des cigares. On voulait se distancer de cette représentation qui n'est plus d'actualité. Avec le nombre de personnes qui y jouent aujourd'hui, notamment sur Internet, le jeu n'est plus appréhendé de la même manière. C'est pourquoi nous avons opté pour un grand lieu lumineux et des personnages reflétant la typologie actuelle des joueurs de poker. Ce sont des hommes et des femmes appartenant à différentes classes d'âge et à différents milieux socioculturels. Et les raisons qui les poussent à jouer au poker et à se retrouver dans cette partie sont également très variées. Avec un tel panel, les téléspectateurs sont à même de s'identifier à certains moments avec certains personnages.

L'un des personnages incarne un étudiant de 20 ans. Est-ce un clin d'oeil aux nombreux jeunes gens qui aspirent à gagner leur vie par ce biais?
Enormément de jeunes jouent au poker, c'est un fait. Plus que par le mythe de l'argent facile, je pense que cet engouement est dû à la possibilité d'y jouer sur la toile. Quand on gagne à une table de 10 personnes, on a la sensation d'être le maître du monde. Le jeu apporte également un peu de dangerosité puisqu'on joue de l'argent. A 20 ans, on est peut-être plus tête brûlée, on tente plus de choses. Le poker a un côté excitant qui séduit les jeunes générations.

«1 0» a été sacrée meilleure série francophone de l'année 2010. Etait-ce une ambition avouée?
Oui et non. On a très tôt su qu'on avait une série qui offrait une certaine complexité. Cette série peut voyager et donner de la visibilité à la TSR en tant que chaîne capable de produire des choses de qualité. Le prix en question nous a confortés dans cette idée.

Vous planchez sur un processus de diffusion inédit...
Pour la toute première fois en Suisse, nous allons diffuser de la fiction sur Internet avant la télévision. Cela part du constat que les 15-25 ans, en particulier les étudiants, désertent le petit écran pour consommer les séries sur la toile. C'était une volonté dès le départ, à l'image des chaînes européennes qui lorsqu'elles font des projets de fiction intègrent dès le début le web dans leur réflexion. La TSR nous a donc donné l'autorisation de proposer en amont les épisodes en streaming et gratuitement.

Quand pourrons-nous découvrir le premier épisode?
Sur Internet, la série sera accessible en streaming à partir du 14 novembre, à raison de 2 épisodes hebdomadaires pendant 5 semaines. La diffusion débutera le 21 novembre sur la TSR.

Crédit photo: Light Night Production

Synopsis

En cette nuit de réveillon, dix personnes se retrouvent autour d'une table de poker à Genève. Une petite partie entre amis?

Au vu des sommes en jeu et des regards échangés, nous en sommes visiblement loin.

Mais alors qui sont ces personnes et que font-elles là? Qui est le voleur? Qui est le tricheur? Qui confond mensonge et bluff? Qui cache ses émotions mieux que ses sentiments?

Les dix épisodes vont nous permettre de découvrir progressivement les protagonistes, leurs alliances, désalliances, mésalliances et secrets les moins avouables. Mais surtout, ce qui les a conduits à s'asseoir à cette table où certains d'entre eux jouent bien plus qu'une simple partie de poker.

Interview vidéo de l'acteur Paulo Dos Santos