Bourses et taxes vont de pair

Fathi Derder

La formation, cheval de bataille du conseiller national vaudois

Journaliste et politicien, Fathi Derder se félicite du rejet de l’initiative parlementaire émanant du socialiste valaisan, Mathias Reynard. Cette dernière souhaitait plafonner les taxes semestrielles des EPF à 650 francs. Tête-à-tête avec un homme passionné qui milite pour un accès démocratique aux études tout en exigeant l’excellence.

Pour quelles raisons, la question de la formation des étudiants suisses vous tient-elle à cœur?

Depuis toujours, elle fait partie des sujets essentiels pour notre pays. On le répète souvent mais la matière première de la Suisse, c’est la matière grise. Or, on a une petite tendance sous la coupole à sous-estimer l’importance de la formation supérieure. Politiquement, tout le monde est d’accord pour dire que c’est fondamental. Mais quand je suis arrivé au Parlement et que j’ai demandé à être en charge de la commission de la science et de l’éducation, je l’ai obtenue, ce qui est très rare pour un jeune politicien. Personne n’en voulait vraiment alors que pour moi, c’est juste la commission la plus importante aujourd’hui.

Vous dites que les bourses sont le point faible de notre formation tertiaire. Pouvez-vous nous en dire plus?

Actuellement, c’est le sujet le moins évoqué en termes de débat politique. Dernièrement, on en a beaucoup parlé car mon collègue Reynard (ndlr: Conseiller national socialiste) a déposé une initiative parlementaire pour plafonner les taxes des EPF, ce qui est très tendance. Son rejet me satisfait, car cela aurait été un très mauvais signal. En donnant au Parlement des compétences de la direction des EPF, on s'attaque à leur autonomie! Il serait très dangereux de commencer à politiser les hautes écoles. En outre, au nom de quoi  priverait-on la direction des EPF d'une partie de leurs compétences? Enfin, et surtout, à 650 francs, les EPF sont bon marché en comparaison internationale. En s'attaquant aux taxes, on cherche à résoudre un problème qui n'existe pas! En résumé l'initiative Reynard ne résolvait aucun problème. Pire: elle en créait là où tout allait bien! Mais, maintenant, tout le travail sur une conception globale du financement des études doit commencer. Cela implique une indispensable réflexion sur notre système de bourses qui est, lui, très faible. Par rapport aux autres pays de l’OCDE, on est vraiment mal classés. C'est là que se situe le problème, en Suisse. Pas au niveau des taxes.

Comment expliquer de telles disparités? 

Culturellement, cela n’a jamais été dans la tradition suisse. Si l’on compare le cas de notre pays avec d’autres nations, on trouve de grandes disparités. Il existe le système américain ou anglo-saxon avec des taxes très élevées et un système d’aide étatique très développé. Il y a d’autres pays avec des frais d’inscription très majorés et quasiment pas de bourses, c’est le cas de la Corée du Sud. Et étonnamment, ce pays a un des plus hauts taux de scolarisation au niveau supérieur. Certes, ce n’est pas un modèle, je ne suis pas en train de dire qu’il faut faire ça. Je pense qu’en Suisse, il faut trouver le bon équilibre entre les taxes et les bourses. Il y a un gros paradoxe et j’appelle vraiment le Parlement à avoir une réflexion globale en intégrant le coût de financement des études et le coût des études dans son ensemble. Mais à Berne, je ne sais pas pourquoi, seules les taxes sont évoquées. Toutefois, l’idée d’y centraliser le système de bourses me paraît être une bonne idée.

Votre avis sur la gratuité des études? Utopique ou réaliste?

C’est n’importe quoi. Il est absurde de faire croire à l’étudiant qu’il fait quelque chose qui est gratuit. Ce n’est pas juste un cadeau du ciel, il y a des structures, des profs et des gens qui travaillent. Dans le fond, je n’ai rien contre le principe de gratuité. La seule question c’est qu’ensuite il faut trouver un financement. La formation a un coût, il faut bien que quelqu’un la paie. Donc, on parle beaucoup des taxes mais qui paie pour ces études? Est-ce monsieur et madame tout le monde? Est-ce le contribuable? Pourquoi pas! Mais est-ce qu’il est très juste de demander au boucher de mon quartier de payer pour les études d’un futur avocat ou d’un futur médecin, je n’en suis pas convaincu.

Dans un article du «Temps» vous écrivez « Trouvons de nouvelles pistes». Vous en avez?

Non (rire). Pour être franc, je constate les faits parce que j’ai commencé à me pencher sur cette problématique en voyant le débat qu’on avait en commission. J’ai fait des recherches et j’ai seulement tiré la sonnette d’alarme. Il y a une sorte de grand désert en matière de réflexion. Alors, je dis que je n’ai pas d’idées mais j’en ai tout de même quelques-unes (rire)! Elles valent ce qu’elles valent car je ne les ai pas vraiment testées. On peut développer des bourses qui sont financées par la Confédération, avoir un système de prêts et inciter les banques ou des représentants publics à faire des prêts sans intérêt - Tony Blair l’avait évoqué pour l’Angleterre - et le remboursement peut se faire sur 5, 10 ou 15 ans à un faible taux d’intérêt sans risque d’endettement.

Réunissons-nous hors parti, hors dogme et hors conviction religieuse en disant quelles sont pragmatiquement les solutions les plus raisonnables et intelligentes pour permettre un accès le plus large possible aux études tout en ayant une exigence maximale d’excellence et un financement durable de ce système.


Bio express

Fathi Derder a fait ses premiers pas dans le métier de journaliste à 20 ans. Il réalise ses gammes au journal des étudiants de l’Université de Lausanne puis lance la radio du campus lausannois, «Fréquence Banane». Son stage de journaliste RP en poche, il travaille à la Radio Suisse Romande (RSR). Tour à tour correspondant à Genève, reporter international et rédacteur en chef adjoint à la RSR, Fathi Derder s’engage en politique en 2011 après avoir passé 20 ans à décrypter l’actualité sous toutes ses coutures.