Formation et argent: un couple mal assorti? A l’heure où les tentations d’achat n’ont jamais été aussi grandes, le mythe de l’étudiant fauché est de plus en plus d’actualité. Et la spirale de l’endettement de pointer le bout de son nez. Alors demain tous endettés? Eléments de réponse en compagnie de Ivan Devenoges, assistant social au Service des Affaires socio-culturelles de l’Université de Lausanne.
Le nombre de consultations individuelles pour cause de problèmes de dettes a-t-il augmenté au sein de votre service?
Sur le plan chiffré, il est difficile de répondre car nous ne réalisons pas de statistiques sur ce sujet. Mais sur les 350 consultations que nous menons chaque année, environ une sur deux concerne des problèmes de dettes.
Le nombre de jeunes en formation endettés est-il en augmentation?
Selon mon impression, le nombre d’étudiants vivant à crédit a effectivement augmenté. Même si c’est un phénomène qui a toujours existé, il a empiré ces vingt-cinq dernières années.
Comment l’expliquez-vous?
Les causes sont multiples. Parfois les parents sont aussi endettés, ce qui ne leur permet plus de subvenir aux besoins de leur enfant aux études. Certains jeunes s’endettent aussi pour des raisons de formation. Ils doivent, par exemple, financer une école privée, leur permettant de décrocher leur diplôme de maturité afin de pouvoir s’inscrire à l’université.
Des dettes liées au non paiement de l’assurance-maladie sont aussi assez fréquentes chez les individus qui viennent nous consulter. En manque de ressources, ces gens-là préfèrent, d’abord, payer le loyer et la nourriture avant leurs primes d’assurance-maladie.
Les dettes touchent aussi les jeunes en fin d’études qui doivent rembourser les prêts octroyés par leur canton de domicile. Les sommes créditées peuvent vite prendre l’ascenseur et avoisiner les 30'000 francs. L’intégration sur le marché du travail qui est de moins en moins aisée ne facilite guère ce type de remboursement.
Le cas d’individus, plus âgés, reprenant des études sur le tard amène aussi à l’endettement puisque pour financer leur formation ces personnes ne bénéficient d’aucune aide étatique à l’exception du canton de Vaud.
Notre mode de vie de plus en plus consumériste n’augmente-t-il pas aussi les tentations d’achat et, au final, l’endettement des jeunes?
Il est clair qu’avec des cartes de crédit si faciles d’accès et tout le matraquage publicitaire sur les leasings, les étudiants peuvent plus facilement être tentés. Néanmoins, j’ose espérer qu’ils restent des personnes responsables et conscientes des conséquences de leurs actes. Il s’agit d’universitaires, donc de personnes censées réfléchir.
De plus, la plupart des jeunes qui nous consultent sont endettés non pas par choix mais bien par besoin. Ils n’avaient tout simplement pas d’autre alternative pour vivre.
Mais, bien évidemment, la composante sociale entre aussi en jeu, la société actuelle tendant à dédramatiser le phénomène de l’endettement. Vivre à crédit est de moins en moins une question taboue. C’est entré dans les mœurs. Regardez les dettes énormes contractées par les Etats, censés montrer l’exemple. Les jeunes sont donc plus «résolus» et adoptent une attitude moins alarmiste vis-à-vis des emprunts. «J’ai des dettes et alors?». Cette banalisation va de pair avec une certaine insouciance. Aujourd’hui, un étudiant endetté n’en perd pas le sommeil pour autant!
Finalement, une telle insouciance n’est-elle pas justifiée? Que risque un jeune endetté?
Les conséquences négatives de l’endettement apparaissent surtout à la fin des études - les jeunes en formation n’ayant souvent pas les moyens d’honorer leurs dettes durant leur cursus formatif. Il peut y avoir alors des retenues importantes sur le salaire (parfois jusqu’à 1'500 francs par mois), ce qui bien évidemment met à mal le niveau de vie du jeune diplômé.
De plus, lorsqu’on est aux poursuites, on ne peut plus signer de bail à loyer et parfois même un abonnement de téléphonie mobile.
Existe-t-il un profil type de l’étudiant endetté qui vient vous consulter?
Non, les profils sont très variés. Chaque personne qui toque à notre porte est différente. Il peut s’agir d’un étudiant étranger sans le sou comme d’un Suisse ayant vécu six mois à crédit. Si les situations d’endettement diffèrent d’une personne à l’autre, les dettes contractées sont, en règle générale, identiques. Il s’agit, le plus souvent, de petits crédits que l’on doit à des amis ou à sa famille ne dépassant pas 1'000 francs. Parfois, les dettes sont plus importantes pouvant monter jusqu’à 50'000 francs.
Justement, lorsqu’un jeune vient vous voir en raison de dettes importantes, quelles démarches entreprenez-vous avec lui?
Tout d’abord nous établissons un budget précis dans le but d’insuffler une prise de conscience. Souvent, les étudiants qui nous consultent ne se rendent pas compte de leurs charges financières. Un jeune en formation vivant hors de chez lui a environ besoin de 1'800 francs par mois pour vivre. Mais ce chiffre peut varier selon le prix du loyer et l’assurance-maladie.
Ensuite, on établit un relevé de toutes les dettes contractées et on met en place un plan de remboursement échelonné sur le long terme. Le problème réside dans le fait que le jeune n’a souvent pas les moyens de payer ses dettes. On peut alors l’aiguiller auprès de services spécialisés fournissant des conseils juridiques gratuits.
Proposez-vous une aide pécuniaire?
Nous pouvons offrir une aide financière épisodique en cas de graves problèmes touchant à la santé: non paiement des primes d’assurance-maladie, frais dentaires… Mais, nous ne sommes pas là pour payer les dettes contractées.
Te voilà averti!
MB