interviews

Frédéric Maire

Directeur de la Cinémathèque suisse

Avec l'omniprésence de la télévision et du web, peuton craindre une érosion de la culture cinématographique chez les étudiants?
Je ne pense pas, bien au contraire! Le cinéma au sens large - images en mouvement - est aujourd'hui omniprésent, du smartphone au grand écran en passant par les tablettes tactiles et les ordinateurs. Le téléchargement permet de tout voir partout, et peu à peu même les grands classiques de l'histoire du cinéma sont accessibles via les réseaux. C'est à nous - cinémathèques, festivals, diffuseurs, passeurs - de susciter l'intérêt des étudiants à (re)découvrir un Hitchcock ou un Fellini. C'est à nous de les numériser, et de les mettre à disposition de tous, sur tous les écrans possibles. Mais notre rôle principal est ensuite celui de donner de la «valeur ajoutée» à ces contenus. De les mettre en perspective, de les extraire de la masse gigantesque d'images qui transite sur les réseaux, de leur donner du sens. Et de trouver, enfin, une façon juste d'en parler aux étudiants. A partir de là, il s'agit juste de convaincre ces mêmes étudiants que de voir un film sur son ordinateur, c'est bien, mais de le voir sur l'écran géant d'une vraie grande salle de cinéma, c'est mieux. Quand on présente au cinéma Capitole de Lausanne (867 places, salle ouverte en 1929) un film muet de Mauritz Stiller, «Sir Arne's Treasure», accompagné «live» par le groupe Hemlock Smith, on touche aussi un autre public, plus jeune, et c'est tant mieux! Notre rôle est d'encourager l'étudiant qui n'a vu du Coppola que sur son ordinateur de le redécouvrir sur un très grand écran, dans de bonnes conditions de projection et dans une belle salle, juste pour éprouver une nouvelle sensation. Le cinéma n'est au fond pas différent de la musique: on peut écouter du rock au casque en mp3… Ce n'est pas la même chose que d'entendre le groupe «live»!

Au regard de votre implication dans le Festival international du film de Locarn ou encore des enseignements donnés au Département audiovisuel de l'École d'Art de Lausanne, comment appréhendez-vous les nouvelles générations de cinéastes?
Ce qui a fondamentalement changé c'est la facilité d'accès à l'outil. Aujourd'hui, n'importe qui peut, avec une petite caméra numérique et un ordinateur, produire un film qui pourra être vu dans les plus grands festivals et les plus grandes salles. Ce qu'il faut, évidemment, c'est que le cinéaste ait des idées, du génie, une vision - ce qui arrive parfois (mais pas très souvent). Il faut dire que la plupart des jeunes cinéastes tendent à répliquer des styles, des récits déjà filmés et racontés avant par leurs «maîtres». Ce qui est une phase normale d'apprentissage, mais ne produit pas vraiment de nouveauté. La légèreté et le coût très modeste des moyens actuels a aussi favorisé un type de récits plus intimes, plus personnels, des sortes d'auto-fictions qui mêlent la réalité documentaire avec l'imaginaire du cinéaste, et qui donnent parfois naissance à de petites merveilles. Enfin, le mélange entre la prise de vue réelle et les possibilités d'effets spéciaux numériques ont permis la création de petits bijoux.

La Cinémathèque suisse propose des cours théoriques spécifiques à l'attention des étudiants des HES. Parlez-en nous…
Nous proposons deux natures de cours. D'une part les cours de spécialisation «Archives» dans le cadre du Réseau Cinéma, qui propose un master réunissant les principales formations de cinémas de Suisse (Universitaire et HES). D'autre part des cours de l'UNIL destinés à la fois au grand public et aux étudiants sont donnés à la Cinémathèque suisse: le cours général donné par Freddy Buache le mercredi après-midi (20 leçons sur une année scolaire) et les projections qui accompagnent le cours de François Albéra, consacré pour l'année scolaire à venir à la redécouverte du cinéaste français Jean Grémillon. En plus de cela, on peut dire que l'ensemble de notre programmation est évidemment toujours ouverte aux étudiants (pour un prix réduit), d'autant plus que nous organisons beaucoup d'événements avec l'UNIL ou l'ECAL par exemple, notamment avec des masterclasses de cinéastes qui ont lieu de façon conjointe. Notons enfin que les étudiants en cinéma de toutes les hautes écoles et universités de Suisse ont l'accès libre à toutes les séances de projection organisées par la Cinémathèque suisse sur présentation d'une pièce justificative.