Les personnes affectées par un trouble du spectre autistique présentent principalement des problèmes de communication et des difficultés dans les interactions sociales. Bien que fréquent, ce trouble reste difficile à diagnostiquer avant l’âge de 5 ans. Pourtant, une prise en charge précoce permet de compenser ces difficultés grâce à un suivi particulier axé sur le développement des compétences péjorées par l’autisme. C’est pourquoi une équipe interdisciplinaire de l’Université de Genève (UNIGE) a développé un algorithme d’intelligence artificielle (IA) fondée sur l’analyse automatisée de vidéos, permettant d’étudier la communication non-verbale de l’enfant de manière anonyme et standardisée. Facile d’usage, cette technologie a correctement classifié dans 80% des cas de courtes vidéos montrant un enfant avec ou sans autisme de moins de 5 ans jouer avec un adulte. Un outil d’avenir pour le dépistage précoce du trouble autistique, à découvrir dans la revue Scientific Reports.
Le trouble du spectre autistique touche un enfant sur 54 et est caractérisé par des difficultés dans les interactions sociales, toutes les fonctions liées à la communication et par la présence de comportements répétitifs et des intérêts restreints. Bien souvent, les enfants affectés par ce trouble éprouvent des difficultés à suivre un cursus scolaire standard. «Pourtant, si le diagnostic est posé avant l’âge de 3 ans, il est souvent possible de rattraper ces retards de développement grâce à une intervention comportemental spécifique, ce qui change totalement la trajectoire d’acquisition de compétences de ces enfants et leur permet bien souvent d’intégrer le circuit scolaire public», relève Marie Schaer, professeure au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’UNIGE et dernière auteure de l’étude. Tout l’enjeu réside donc dans un diagnostic précoce, l’autisme étant encore trop souvent diagnostiqué après 3 ans.
Utiliser l’analyse automatisée de vidéos
L’autisme est caractérisé par une communication non-verbale de l’enfant qui diffère de celle d’un enfant au développement normal. «Celui-ci se différencie sur plusieurs points, comme par exemples la difficulté à regarder son interlocuteur/trice, à sourire, à pointer des objets du doigts, la manière à s’intéresser à ce qui l’entoure, etc., précise Nada Kojovic, chercheuse dans l’équipe de Marie Schaer et première auteure de l’étude. C’est pourquoi nous avons conçu un algorithme utilisant l’intelligence artificielle qui analyse en vidéo les mouvements des enfants et identifie si ceux-ci sont caractéristiques du trouble du spectre autistique ou non.»
Durant trois ans, les scientifiques, soutenu-es par le PRN Synapsy, ont développé cet algorithme qui vise à classifier des vidéos en se basant uniquement sur les mouvements de l’enfant lorsqu’il interagit avec une autre personne. Pour cela, ils ont d’abord employé une technologie nommée OpenPose, qui extrait les squelettes des personnes en mouvement dans une vidéo et permet l’analyse des gestes en ôtant toutes les caractéristiques qui pourraient être discriminantes (âge, sexe, décor, etc.), ne gardant que les relations dans l’espace et dans le temps. Ils et elles ont ensuite développé et testé leur algorithme d’IA sur 68 enfants au développement normal et 68 enfants autistes, tous et toutes de moins de 5 ans. «Nous avons divisé chaque groupe en deux : les 34 premiers de chaque groupe ont ‘éduqué’ notre IA afin qu’elle parvienne à différencier le comportement non-verbal des enfants avec ou sans autisme. Les autres ont ensuite permis de tester les compétences de l’algorithme, afin de voir si celui-ci fonctionnait. Nous avons finalement effectué un nouveau contrôle sur 101 autres enfants», explique Thomas Maillart, chercheur à l’Institut des sciences de l’information et membre de la Faculté d’économie et de management (GSEM) et du Centre Universitaire Informatique (CUI) de l’UNIGE.
Un résultat probant en 10 minutes
L’IA a ainsi passé au crible des vidéos présentant des enfants en train de jouer librement avec un-e adulte. «Aucun scénario n’est préétabli. Il s’agit d’analyser le comportement non-verbal de l’enfant librement, tout en mettant à sa disposition différents objets qui permettront de déterminer la présence ou non d’un trouble autistique», relève Nada Kojovic. Les résultats démontrent que l’IA obtient un résultat correct dans 80% des cas. «Pour un premier dépistage, c’est un excellent résultat, s’enthousiasme Marie Schaer. Car en 10 minutes, nous pouvons obtenir un premier dépistage accessible à n’importe qui, où qu’il/elle habite. Ceci permettrait aux parents inquiets pour leur jeune enfant d’obtenir une première évaluation automatisée des symptômes de l’autisme – qui ne sera bien sûr pas parfaite –, mais que l’on pourra confirmer par une consultation avec un-e spécialiste par la suite.» Les études montrent en effet qu’il se passe souvent plus d’un an entre les premières inquiétudes des parents et le moment où ils sont adressés vers une consultation spécialisée.
De plus, cette analyse automatisée de vidéos offre un anonymat complet, les personnes filmées n’étant représentées que par des squelettes modélisés en bâtonnets de couleur. «Cet anonymat est précieux, car il permet non seulement d’échanger des vidéos entre spécialistes pour affiner un diagnostic, mais aussi de les utiliser pour des formations auprès des étudiant-es», poursuit la chercheuse genevoise.
Précisons que cette technologie ne nécessite aucune intervention directe sur l’enfant. «La pose de capteurs de mouvement pourrait perturber les enfants et influer sur le résultat. Ici, nous sommes dans une analyse totalement non-invasive», souligne Nada Kojovic. L’algorithme ne nécessitant qu’une vidéo, les scientifiques peuvent également l’utiliser pour l’analyse de vidéos filmées des années auparavant. Un atout pour la recherche qui ne doit pas repartir de zéro, l’algorithme pouvant utiliser tout type de vidéos déjà collectées.
A présent, l’objectif de l’équipe pluridisciplinaire est une mise à disposition de cette IA à toutes et tous. «En effet, 10 minutes de vidéos filmées avec son smartphone permettraient une analyse par l’IA via une application, et c’est dans cette direction notamment que nous souhaitons poursuivre nos recherches», conclut Thomas Maillart.