Deux hommes ou deux femmes qui se donnent la main au milieu d’une cafétéria bondée. Une scène rare à l’université qui suscite des questionnements. Les jeunes homosexuels n’oseraient-ils pas afficher leur préférence dans les sacro-saints murs du Savoir ? Pas si simple si l’on en croit Dani Dünner, président du groupe universitaire gais, lesbiennes et transgenres de l’Université de Fribourg (Lago).
S’il existe une réelle peur de ne pas trop se « montrer » afin d’éviter regards désapprobateurs et remarques malveillantes, cette explication, à elle seule, ne suffit pas à rendre compte de cette absence de visibilité. « Certains jeunes en formation peuvent sortir avec quelqu’un qui n’étudie tout simplement pas », affirme Dani Dünner. Autre élément d’explication ? La statistique. Les homosexuels sont moins représentés dans la population que les hétérosexuels. Selon les estimations, 10 à 20% des gens sont attirés par des individus du même sexe. Cela réduit donc les chances de les croiser à l’université.
S’ils sont peu visibles, ces jeunes existent pourtant comme l’atteste la présence d’associations estudiantines gais, lesbiennes et transgenres. But de ces organisations ? Pouvoir garantir un lieu d’échanges destiné aux individus qui se posent des questions sur leur préférence sexuelle. « Mais les soirées et événements que nous organisons sont bien évidemment aussi ouverts aux hétérosexuels », précise Dani Dünner. Difficile pourtant de coller une étiquette sur les personnes présentes aux manifestations de la Lago. « Notre orientation sexuelle n’est pas collée sur notre front. D’autant plus qu’actuellement les clichés sur les homosexuels ont tendance à s’estomper. Moi-même, je me trompe parfois considérant un nouveau venu comme gay alors qu’il ne l’est pas !» Gays ou pas, les events organisés par le groupement marchent à plein régime.
Si les manifestations font toujours salle comble, les volontaires, eux, manquent à l’appel. « Les problèmes de recrutement ne sont pas spécifiques à notre organisation. Tous les organes estudiantins connaissent un manque de plus en plus criant de personnes motivées à s’engager ». Mais difficulté supplémentaire pour le mouvement: les étudiants ne sont pas automatiquement membres de la Lago comme c’est le cas pour d’autres associations. Par exemple, les jeunes qui étudient les sciences juridiques sont automatiquement intégrés à l’association des étudiants en droit. Idem pour les autres branches. « Nous ne pouvons pas non plus recruter les gens susceptibles d’être intéressés par notre groupe en les questionnant sur leur identité sexuelle. Cela touche trop à la sphère intime », ajoute le président.
A la question de savoir si ces regroupements ne constituent pas une forme de repli sur soi et de marginalisation de la communauté gay, Dani Dünner répond clairement oui. « Il y a, en effet, un risque de « ghettoïsation ». Pour choisir un exemple extrême, les USA ont envisagé de créer une ville 100% homosexuelle. Ce qui, d’après moi, est un non- sens. Je suis également contre l’idée de créer des EMS ne regroupant que des gays ». Mais, en même temps, le besoin de se regrouper est fort tant il est difficile de trouver une âme sœur du même sexe au sein d’une population essentiellement hétérosexuelle. « Tout comme vous, nous avons besoin de tendresse et d’affection », conclut le président de la Lago.
Si, actuellement, Dani n’a plus peur de se cacher, il avoue avoir craint, par le passé, d’afficher son orientation sexuelle. « J’appréhendais la réaction de mes amis et de ma famille. Si je m’assumais tel que j’étais, j’avais peur que mes proches me considèrent comme quelqu’un de différent, que leur regard, à mon égard, change ».
Bien dans ses baskets, le jeune homme a depuis éradiqué tout doute. «Finalement, mon individualité ne se limite pas à mon homosexualité. Elle englobe aussi ma personnalité, mon caractère, mes passions… Et mes amis m’acceptent tel que je suis ! »
Pour Thierry Delessert, docteur en sciences politiques et spécialiste des questions de genre, l’homosexualité reste encore une question taboue dans les murs du savoir même si les recherches sur le sujet ont fait leur entrée dans le paysage académique romand. Interview.
Sur le campus, on voit rarement deux hommes ou deux femmes qui se donnent la main, pourquoi ?
Une telle absence est liée au tabou social qui entoure l’homosexualité et qui se retrouve dans tous les milieux, y compris à l’université. Et oui, le monde du savoir n’est pas une tour d’ivoire, ce phénomène se répercute dans ses murs.
Autre raison : le placard intellectuel entourant la communauté gay et lesbienne demeure bien confortable. Difficile d’en sortir. Mais, heureusement, il existe des associations comme « Plan-Queer » (ndlr : organisation gay et lesbienne des hautes écoles vaudoises) qui aident à faire son coming out.
Justement, pourquoi un tel besoin de se regrouper en association ? Au final n’est-ce pas une forme de ghettoïsation ?
Il s’agit, en réalité, d’une enclave libératrice. En tout temps, les minorités ont jugé nécessaire de se rassembler. Au sens figuré, on peut prendre l’image du contrefort du placard. Une fois que ce dernier n’existera plus, le besoin de se regrouper ne se fera plus sentir et il n’y aura plus de ghettos. Je tiens tout de même à signaler que les événements organisés par « Plan-Queer » sont hétérosfriendly.
Avez-vous connaissance de cas de discriminations d’orientation sexuelle dans votre université?
Pas de cas de discrimination avérée. J’ai toujours eu la chance de pouvoir mener mes recherches sur l’homosexualité en toute indépendance et soutenu par mes pairs. Après si l’on se moque de moi dans mon dos… Je n’en sais rien (rires!). Plus sérieusement, nous vivons une époque de transition. Actuellement, les études sur la communauté gay et lesbienne commencent à percer les murs du savoir en Romandie. Je donne, par exemple, un séminaire de master sur le sujet. Mais, à l’époque, ce n’était pas gagné ! J’ai eu la chance de trouver deux directeurs de mémoire d’accords que je traite de cette thématique.
Quant à savoir s’il existe une discrimination cachée ? Sans doute, sinon nous n’aurions pas ressenti le besoin de créer « Plan-Queer » !
Thierry Delessert est infirmier de formation. Après 10 ans de pratique professionnelle en hôpital psychiatrique, il décide de reprendre des études en sciences sociales à l’Université de Lausanne. Sa thèse de doctorat porte sur l’homosexualité masculine en Suisse durant la seconde guerre mondiale. Il poursuit actuellement des recherches historiques sur le même sujet.