Les sociétés d'étudiants

sociétés d'étudiants

Entre mythe et réalité

Fondées pour la plupart au XIXe siècle, les sociétés d’étudiants suisses ont bien perdu de leur prestance. Prônant des valeurs telles que l’amitié, la connaissance, le respect des rites et un certain patriotisme, aux yeux de certains, elles sentent bon la naphtaline, figurant un folklore déconnecté de la réalité. Les soupçons de pistons ou affaires de bizutages entretiennent, également, leur mauvaise réputation. 

Mais, malgré une image peu reluisante, ces sociétés d’étudiants continuent d’exercer une fascination sur ceux qui en sont exclus. Se nourrissant de l’amalgame avec d’autres organisations secrètes comme les loges de franc-maçonnerie, toute une mythologie s’est formée autour de ces réunions d’étudiants. Rencontres mystérieuses, procédures d’admission tournant au bizutage violent ou associations d’arrivistes carriéristes, toutes ces images sont loin d’être flatteuses. Qu’en est-il en réalité?

Sociétés secrètes?

Réunions cachées, membres masqués et politique du secret… Si quelques sociétés pratiquent encore un culte du mystère en bandant les yeux des non-membres afin de les conduire au lieu de réunion, la plupart sont aujourd’hui beaucoup plus ouvertes et enclines à accepter des non-initiés. Certaines d’entre elles ouvrent leurs stamms (réunions) aux amis des membres. L’ «intrus» se conforme, dans la mesure du possible, aux rituels traditionnels ou assiste en simple spectateur. En dehors des multiples coutumes visant au respect de la hiérarchie qui lui échappent totalement, le nouveau venu est généralement bien accueilli et une réunion de sociétaires ressemble à s’y méprendre à un verre (de bière, cela va de soi!) entre amis. Les membres, avant d’être sociétaires, sont des étudiants. Béret et ruban de couleurs en plus.

Sectaires?

On n’entre pas dans une société d’étudiants comme dans une cafétéria.  Avant d’en intégrer une, l’étudiant doit montrer son intérêt à l’occasion de plusieurs rencontres avec les membres qui décideront finalement de son admission. Il est rare qu’une personne soit refusée, tant qu’elle est sincère et ne cherche pas à simplement profiter du réseau des sociétaires. Sur quels critères se basent ces admissions?

Premièrement, il faut être étudiant à l’université. Certaines sociétés acceptent aussi les jeunes en formation des HES. À l’exception de Zofingue et Helvétia, dont les adhérents sont exclusivement masculins, la plupart sont mixtes. Même si ces sociétés sont apolitiques et laïques, elles ont souvent des origines religieuses, majoritairement catholiques. Les membres doivent donc respecter les valeurs apportées par l’Eglise. «Mais le principal est que chaque personne se reconnaisse dans les valeurs promulguées par la société. Il n'y a jamais trop ou trop peu de membres. En effet, ce qui compte réellement, c'est la cohésion entre les individus», déclare Joris Fasel, Président de la Sarinia (Fribourg).

Pistons

Intégrer une société d’étudiants pendant ses études est un moyen de constituer ou d’élargir son réseau de connaissances. Mais cela met aussi l’étudiant en contact avec des «anciens», déjà actifs dans le monde du travail ou clairement établis à des postes stratégiques. Cette proximité a-t-elle une influence au point de justifier une pratique de pistonnage? «Non, répond Bérénice Kübler, membre de la Stella Genevensis (Genève), mais en faisant partie d’une société d’étudiants on crée un réseau d’amis. Stella propose un soutien entre membres. Il n’y a aucune obligation de piston, mais ça peut influencer, car les Stelliens passent du temps ensemble et apprennent à se connaître. Les vieux voient les plus jeunes évoluer et connaissent leurs qualités.»
Selon Joris Fasel, il convient mieux de parler d’entraide: «chaque membre est là pour soutenir ses "frères de couleurs". Il les aidera et les conseillera dans l'accomplissement de leur vie de sociétaire, sans toutefois leur mâcher le travail». De même pour Michael Chrusciel, membre de la section neuchâteloise de Zofingue: «la société nous aide de la même manière qu’un ami peut nous aider, mais nous n’avons pas d’avantages et nous devons passer des entretiens comme tout le monde». 

Bizutage

Mêlant à la fois l’horreur et le scandale, le bizutage parmi les étudiants est un thème qui a inspiré de nombreux romans policiers et séries télévisées américaines. Certainement l’un des clichés les plus tenaces sur les sociétés d’étudiants, ces séances de torture morale et physique sont-elles pratiquées? Pour les sociétaires, ces séries sont distrayantes mais ne reflètent en rien la réalité: «Le bizutage fait, en effet, partie du parcours de nos futurs membres. Néanmoins, il ne faut pas l'imaginer identique à ceux que l'on peut voir dans les fraternités américaines qui consistent en des gages dégradants. Les bizutages sont un rite de passage pour les nouveaux adhérents auxquels toute la société participe. C'est alors l'occasion de vivre de très bons moments et de partager des rires qui resteront à jamais gravés dans les mémoires», explique Joris Fasel. Il n’empêche que chaque nouveau membre est soumis à une épreuve imposée par les anciens.

Si l’on en croit les propos de Bérénice Kübler, le terme «bizutage» est interdit, et remplacé par «charriage» : «l’honneur de la personne n’est jamais atteint, il ne s’agit pas de l’obliger à faire quelque chose qu’elle ne veut ou ne peut pas faire».

S’il y a peu de chance qu’un étudiant suisse se retrouve obligé de se soumettre à un culte satanique mettant sa vie en danger, des abus ne sont pas inévitables et ont déjà eu lieu par le passé. Le bizutage n’est pas un but en soi, mais n’importe quelle cérémonie d’admission est susceptible de déraper, ne serait-ce qu’à cause d’un état d’alcoolémie avancé de ses pratiquants. Pendant ces soirées, il arrive que les étudiants ingurgitent plusieurs litres d’alcool et dépassent les limites.

Beuveries vraiment?

La bière est une part importante de la vie estudiantine. Et aussi des milieux sociétaires. Sa consommation est régie par une infinité de rituels insondables pour les non-initiés: «Comme tous les étudiants, nous aimons boire, mais de façon plus contrôlée car nous restons entre nous», déclare Michael Chrusciel. Pour cette fois, la réalité ne dément pas le cliché. Mais limiter les stamms à de grandes beuveries réglementées serait réducteur. La hiérarchie est aussi présente pour contrôler ses membres plus jeunes et peut les forcer, en guise de punition, à ne boire que de l’eau! Selon les sociétaires, on oublie trop souvent que le but n'est pas de boire mais de créer un espace de dialogue et de transmission, dans lequel la culture tient un rôle de premier plan.

La plupart des sociétés ont un calendrier d’événements annuels, comme la Fête centrale qui permet à toutes les sociétés de la SES (Société des Étudiants Suisses)  de se rencontrer et de partager un moment convivial.

Traditions

Vues de l’extérieur, les activités sociétaires se résument à des rituels étranges, voire ridicules. Cette image n’est, aux yeux de Joris Fasel, pas justifiée: «Elle découle du fait que les sociétés sont basées sur des traditions. Cependant, de nos jours, elles évoluent avec les nouvelles moeurs tout en sachant respecter et garder ce côté traditionaliste qui les caractérise si bien».

Tradition est sans doute le terme le plus pertinent pour comprendre les sociétés d’étudiants. Au cœur de leur action? Le partage de coutumes et de valeurs. La famille peut aussi jouer un rôle: beaucoup d’étudiants ont intégré une société parce que leurs parents en avaient fait partie. D’autres en rejoignent une quand ils arrivent dans une nouvelle ville et qu’ils souhaitent faire de nouvelles connaissances.

Finalement, tous ne recherchent qu’une seule chose: partager des bons moments dans le respect des traditions! |