8 ans après avoir conduit l'adhésion de la Suisse à l'ONU, vous accédiez à la présidence de son assemblée générale. Durant votre mandat quels ont été vos principaux projets et quel bilan en tirez-vous?
L'Assemblée générale traite d'un large éventail de thèmes, il m'a donc paru utile, dès le début de ma présidence, de regrouper les sujets en trois grands domaines thématiques afin de poser des priorités et de faciliter le suivi des travaux: premièrement, les Objectifs du millénaire pour le développement et la réduction de la pauvreté, deuxièmement, l'économie verte et le développement durable, troisièmement, la gouvernance globale. Je suis satisfait de ce que nous avons réalisé tout au long de l'année. Je ne vais pas faire un bilan exhaustif ici, mais par exemple en ce qui concerne la question de la gouvernance globale, j'ai établi un dialogue constructif entre l'Assemblée générale et la présidence coréenne puis la présidence française du G20 de façon à rapprocher ce dernier des Nations Unies. En matière de développement, au début de la 65ème session, un sommet avec plus d'une centaine de chefs d'Etat et de gouvernement s'est tenu sur les Objectifs du millénaire et les dirigeants réunis à New York ont clairement réaffirmé leur engagement à atteindre ces objectifs. Enfin, l'économie verte était un concept très controversé lorsque j'ai pris ma fonction. J'ai organisé un débat thématique sur le sujet et il me semble que maintenant le potentiel de modes de production et de consommation plus respectueux de l'environnement pour assurer une croissance économique durable et créer des emplois, même dans les pays les plus pauvres, est mieux compris.
Quel a été l'événement le plus marquant de votre présidence?
C'est l'admission de la République du Soudan du Sud comme 193ème membre des Nations Unies, le 14 juillet de cette année. Cet événement a marqué l'aboutissement d'un long processus de paix dans lequel les Nations Unies ont été très engagées. Il reste encore des questions à régler entre le Soudan et l'Etat nouvellement créé, mais quand on songe qu'un conflit meurtrier, qui a fait plus de 2 millions de victimes, déchirait la région, c'est remarquable. Je m'étais d'ailleurs rendu à Juba, la capitale du Soudan du Sud, avec le Secrétaire-général Ban Ki-moon, pour la cérémonie de la déclaration d'indépendance, le 9 juillet. C'était aussi un moment très émouvant. Et puis, vous savez, pour moi, à New York, lorsque nous avons hissé le drapeau du Soudan du Sud sur son mât, je me suis souvenu de l'adhésion de la Suisse 8 ans plus tôt, comme 190ème Etat membre.
Quelle a été votre plus belle rencontre?
Cette année a été rythmée par de nombreuses rencontres. Un beau moment a été la visite des athlètes suisses qui participaient au marathon de New York. J'ai été sensible à leur envie de s'informer sur l'Assemblée générale et sur les activités et le rôle du Président. Il y aussi eu des rencontres plus médiatiques, comme lors du sommet sur la jeunesse qui s'est tenu en juillet, avec Alek Wek, le top model bien connu qui est fortement engagée pour la jeunesse.
Quels grands «chantiers» attendent votre successeur?
Sa présidence va débuter avec plusieurs réunions de haut niveau, dont nous avons cette année assumé les travaux de préparation: le sommet sur les maladies non transmissibles, celui sur la désertification, et la commémoration des dix ans depuis la conférence de Durban sur la lutte contre le racisme. Mon successeur devra aussi conduire une réforme du système de calcul des contributions des Etats membres au budget des Nations Unies, sujet sur lequel nous avons commencé à travailler sous ma présidence. Enfin, il faut continuer les réformes internes à l'ONU, comme notamment la réforme du Conseil de sécurité. Nous sommes, cette année, parvenus à lancer la discussion entre groupes ayant des positions différentes, mais il faudrait aller encore plus loin et passer au stade de véritables négociations, ce qui n'est pas facile, on parle de cette réforme depuis plus de 18 ans…
La presse et la classe politique suisses critiquent régulièrement l'isolationnisme de notre pays. Avons-nous encore un rôle à jouer sur la scène politique internationale ou sommes-nous confinés uniquement à un rôle de «gentil» donateur?
Il est clair que nous avons un rôle à jouer! Cette année passée à New York a encore renforcé ma conviction. Nous sommes considérés comme un interlocuteur important, ayant à faire valoir sa longue tradition des droits de l'homme, de la démocratie, du consensus et du multilatéralisme. On nous accorde crédibilité, sérieux et pragmatisme dans ce que nous entreprenons. Et j'ai pu constater que nos diplomates onusiens sont effectivement très bien considérés, et donc nous sommes en bonne position pour participer à la vie internationale, défendre nos valeurs et nos intérêts et favoriser la recherche du consensus pour trouver des solutions pour le bien commun. Grâce à cet engagement, nous gagnons le respect de la communauté internationale et augmentons aussi les chances de défendre avec succès nos propres intérêts.
Votre année de présidence a été marquée par de nombreux événements. Nous en avons retenus 2 sur le continent africain. Comment vous ont-ils marqué et quelle lecture en faites-vous?
Le printemps arabe?
Le printemps arabe a montré ce que le courage d'hommes et de femmes luttant contre l'oppression peut faire. C'est incontestablement un bouleversement majeur qui a eu lieu. Et je suis fier que les Nations Unies aient joué leur rôle. Le Secrétaire-général a très rapidement assuré du soutien de l'organisation pour aider les nouveaux gouvernements en Tunisie et en Egypte à mettre sur pied des élections. Dans le cas de la Libye, nous avons aussi fait preuve de fermeté. L'Assemblée générale a suspendu la Libye de son droit de siéger au Conseil des droits de l'homme le 1er mars et quelques jours plus tard le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1973 qui se réfère pour la première fois explicitement à la «responsabilité de protéger» - principe par lequel la communauté internationale peut, dans certaines conditions, intervenir pour protéger la population d'un pays lorsque son propre gouvernement ne le fait pas. Ceci a donc permis l'intervention militaire de la communauté internationale. C'est une évolution majeure, dont on ne mesure probablement pas encore toute la portée.
La catastrophe humanitaire à la corne de l'Afrique?
Il est intolérable qu'au début du 21ème siècle, alors que nous avons les moyens financiers et techniques de nourrir tous les habitants de cette planète, on puisse vivre encore des situations comme celle de la corne de l'Afrique. Les Nations Unies ont tiré la sonnette d'alarme et déclaré cette zone en famine de façon à attirer l'attention de la communauté internationale sur ce drame et à mobiliser l'aide. Mais au-delà de l'action humanitaire, une amélioration durable passe notamment par un apaisement de la situation politique complexe en Somalie.
La nouvelle génération est celle des réseaux sociaux (twitter, facebook, youtube,..). Ces médias ont eu un rôle important lors des derniers événements (printemps arabe, émeutes en Angleterre) ou sont encore extrêmement contrôlés dans certains pays. Selon vous, les réseaux sociaux doivent-ils faire l'objet de règlementations ou de surveillances particulières au niveau international?
Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, et je dois dire que si je navigue sur internet et je skype volontiers, je n'utilise en revanche ni facebook ni twitter, alors… Je crois que nous sommes confrontés là à un phénomène nouveau, et il faut trouver l'équilibre entre une réglementation afin d'éviter les abus - il y a aussi
la question de la protection de la vie privée - et le risque de limiter la liberté d'expression et de freiner l'innovation.
A l'heure où les plans de rigueur (ou d'austérité) fleurissent dans de nombreux pays industrialisés, quelles seraient, selon vous, les mesures à entreprendre afin d'améliorer les perspectives pour la jeune génération?
Un élément fondamental, c'est qu'il y ait de la croissance économique, donc il faut mettre en place les conditions favorables au bon fonctionnement des marchés, à l'innovation, à l'investissement et à la création d'emplois. Plus spécifiquement, pour les jeunes, pour leur donner le maximum de chances d'avoir une place de choix dans la société, ce qui compte, c'est l'éducation. Couper dans les budgets pour l'éducation afin de réduire les déficits n'est certainement pas une bonne idée dans une perspective de long terme.
Vous bénéficiez d'une expérience internationale exceptionnelle: au vue des mutations actuelles, quels sont les chantiers que la Suisse doit encore réaliser pour conserver sa place sur l'échiquier international?
La Suisse doit renforcer sa présence internationale et sa participation aux institutions multilatérales. Nous devons être des acteurs de la vie internationale, il n'y a rien de pire que le repli sur soi sous le prétexte fallacieux de préserver son autonomie! A l'heure de la globalisation et d'internet, c'est simplement impossible. On le voit avec l'Union européenne, nous n'en sommes pas membres, mais nos liens économiques sont tellement étroits avec ses pays membres que nous reprenons la législation et les directives européennes sans
avoir eu notre mot à dire dans leur élaboration! A mon avis, un premier chantier serait de reconsidérer l'adhésion à l'Union européenne…
Votre mandat onusien a pris fin le 12 septembre 2011. Quels sont vos projets?
Oui, je vais reprendre les activités que j'avais dans une certaine mesure mises en veilleuse pendant cette année, comme les cours que je donne à l'Université de Fribourg. Et puis, je vais aussi prendre du temps pour ma famille et voyager.
Avez-vous un message particulier à adresser aux dizaines de milliers d'étudiants qui reprennent leurs cours?
Je leur envoie évidemment mes voeux les meilleurs pour qu'ils réussissent dans leurs études. Il faut qu'ils aient du plaisir à ce qu'ils font, et qu'ils gardent un esprit curieux, ouvert à la nouveauté et critique.