Détresse, crises d'angoisse, palpitations cardiaques, troubles paranoïaques, humeur dépressive... Ces symptômes ressemblent à s'y méprendre à ceux éprouvés par les toxicomanes ou les fumeurs invétérés en situation de sevrage. Il est pourtant question ici d'une addiction d'un tout autre acabit, relative aux technologies numériques. Un mal moderne qui frappe les jeunes générations et, de fait, la population estudiantine. C'est le constat global esquissé par une étude conjointe de l'International Center for Media & the Public Affairs (ICMPA) et de la Salzburg Academy on Media & Global Change, intitulée The World Unplugged.
24 heures sans médiasEnjoindre quelque 1'000 universitaires dans 10 pays - des Etats-Unis à la Chine, en passant par le Royaume-Uni, l'Ouganda ou encore le Liban - à s'abstenir de tout usage de médias durant une journée complète, puis à exposer leur ressenti: voilà le défiauquel se sont astreints les chercheurs. 24 heures sans frémir au «bip» d'un texto, se délecter d'un commentaire sous sa dernière photo jetée aux loups, consulter sa pléthore de profils virtuels, lancer des requêtes protéiformes sur Google, Wikipédia et consort, s'aimer via messagerie instantanée, assouvir ses pulsions sur un jeu en réseau, débusquer la bonne affaire sur un site d'achats en ligne, alimenter la blogosphère, télécharger films, musique et séries,... Instructive et salutaire, cette expérimentation a permis de dégager une tendance majeure: les étudiants de tous azimuts s'avèrent accros aux technologies modernes. |
Dépossédés de téléphones mobiles, d'ordinateurs, de télévisions, de lecteurs MP3 ou encore d'accès aux réseaux sociaux virtuels, près de 80% d'entre eux admettent une forme de dépendance, évoquant des sentiments de détresse, de panique, d'isolement et d'exclusion. Et ce résultat de donner corps au concept cher à Patrice Flichy, lorsque le sociologue dépeint une société gouvernée par «le modèle de l'individualisme connecté».
L'omniprésence des nouveaux dispositifs techniques est telle - dans les parcours individuels comme dans les sociétés - qu'une majorité des enquêtés ont échoué à demeurer «débranchés» 24 heures durant. Et lorsque l'échec n'est pas le fait d'un renoncement volontaire, découlant d'un moment de faiblesse, il intervient alors par inadvertance, résultant de l'ubiquité numérique qui imprègne les modes d'interactions.
Plus encore, l'étude souligne à quel point les étudiants du monde entier considèrent ces technologies comme des prolongements d'eux-mêmes, des parties intégrantes de leur identité, inférant sur leur façon quotidienne de construire leur vie sociale.
Il en va ainsi des réseaux sociaux - Facebook en tête - qui, à mesure qu'ils se déploient, deviennent des facteurs de socialisation incontournables, des intermédiaires quasi obligés. De la même manière, le téléphone mobile - et plus particulièrement le smartphone - occupe une place prépondérante dans le quotidien des étudiants. Avec son allure de couteau suisse numérique, il sert non seulement à communiquer, mais incarne aussi le principal support par lequel les jeunes en formation «gèrent» leur vie. Si l'e-mail peut sembler désuet, les étudiants continuent de le privilégier pour communiquer avec leurs professeurs ou dans le cadre de leur travail, en particulier pour sa dimension formelle et sa plus grande flexibilité en terme d'espace.
Au final, réseaux sociaux, emails, chats, téléphones, textos, blogs, etc. investissent simultanément le quotidien des étudiants. Ces outils participatifs permettent non seulement d'interagir avec différents cercles de relations, mais incarnent également un enjeu prépondérant en terme de visibilité, de réputation, de construction identitaire plurielle, de rapport au Soi et aux Autres…
Avec l'avènement du touttechnologique, la prolifération des écrans, fenêtres sur le monde et sur nos propres vies, c'est aussi le rapport à l'information qui évolue. Via le web ou leur téléphone portable - par le biais de Facebook, Twitter, Gmail et tous leurs homologues -, les étudiants sont littéralement inondés de nouvelles. Un véritable capharnaüm où se côtoient échos de l'actualité, commentaires personnels et liens divers. En somme, une information toujours plus concise, toujours plus immédiate, toujours plus superficielle. Plus besoin de la chercher, c'est désormais elle qui trouve ses destinataires.
Ceci étant, les auteurs de l'étude constatent que les étudiants recourent de moins en moins aux sources d'informations traditionnelles ou spécialisées, pourtant porteuses d'une réelle capacité d'expertise. Dans leur esprit, la notion d'«actualité» ne réfère plus forcément aux contenus journalistiques; elle intègre au même titre «anything that just happened», des statuts «updatés» aux commentaires de toute nature.
Au final, les réactions des étudiants «débranchés» ont permis aux chercheurs de mesurer l'ampleur de l'enracinement technologique au coeur de leurs usages. Beaucoup se sont rapidement ennuyés et ont souligné un déficit d'intérêt pour toute activité alternative. Pire, certains ont révélé à quel point cette privation faisait tomber le voile sur leur extrême solitude, les interactions virtuelles s'étant substituées aux réelles. D'autres avancent que cet exercice leur a ouvert les yeux sur la fragilité du lien social, les troubles de l'attention ou encore la négligence des plaisirs simples.
Ceci dit, il faut pourtant souligné qu'une majorité des enquêtés fait partie de la nouvelle génération des «digital natives». Introduite par le chercheur Mark Prensky, cette expression désigne les jeunes qui sont nés dans un environnement numérique, qui se sont appropriés les nouvelles technologies dès leur naissance, lesquelles ont façonné leur rapport à la société, au temps et à l'espace, leur mode de pensées et de socialisation, leur psychisme... Ce faisant, doit-on s'alarmer du spectre de la techno-dépendance qui plane sur les étudiants, eux qui n'ont pas connu le monde sans web? Ou faut-il concevoir le tout-technologique comme une nouvelle norme sociale, un nouveau mode de vie, avec ses affres et ses perspectives prometteuses?
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