Au moment de faire leurs premiers pas dans la vie active, de nombreux jeunes diplômés issus de filières moins professionnalisantes se retrouvent dépourvus de repères. Malgré un bagage théorique conséquent, ils pâtissent d'un sérieux déficit d'expérience et d'un manque d'ancrage dans la réalité des pratiques professionnelles. Ce diplôme qui devait se décliner comme un sésame pour le marché du travail ne suffit finalement pas à homologuer l'opérationnalité du candidat aux yeux des recruteurs.
Ce constat signifie-t-il que l'université faillit à son devoir de former des gens compétents et qualifiés? Certains ne manqueront pas de dépeindre la sphère académique comme un monde clos et rigide, impassible face aux mutations du monde de l'emploi. D'autres rétorqueront que la mission de l'université se trouve ailleurs - inculquer un esprit critique, des capacités d'analyse et de réflexion, etc. qui apportent une importante plus-value au profil du futur diplômé - et qu'elle ne doit pas céder au dictat d'un monde de l'immédiateté. Dans cette perspective, il incombe aux étudiants de forger leur savoir-faire à travers des stages, des expériences professionnelles en marge des études ou encore des engagements associatifs.
Afin de donner la parole aux principaux concernés, etudiants.ch croise ci-dessous les points de vue de trois jeunes professionnels d'horizons divers - un pasteur, une enseignante et un oenologue.
Nicolas Lüthi effectue son parcours universitaire en théologie depuis maintenant six ans. Aujourd'hui, il rédige son travail de mémoire pour le master. Les études de théologie peuvent être suivies d'une formation pastorale sur deux ans. Lorsqu'il en a l'occasion, il dirige également des cultes en tant que pasteur. |
Nicolas souligne le fait que «pas tous ceux qui étudient la théologie ne souhaitent devenir pasteur». Mais dans son cas, il regrette que les cours ne soient pas «assez orientés dans cette direction». Il suppose que «cela doit être le cas pour d'autres disciplines. Des études d'anglais n'aboutissent pas forcément au métier d'enseignant».
Pour lui, les premières années sont les plus académiques. Le parcours universitaire de théologie commence avec une présentation des différentes disciplines fondamentales. Il y a bien un cours qui s'intitule la pratique de la théologie, mais Nicolas précise que «c'est plus de la théorie de la pratique qu'autre chose. Ce qui est à déplorer, c'est que les cours ne vont pas assez dans le concret et dans la compréhension du monde qui nous entoure. C'est véritablement un manque d'actualisation».
En master, c'est différent, puisque des séminaires expérimentaux sont organisés. Il est possible de choisir entre la pratique des cultes ou un équivalent. Nicolas a réalisé un stage d'observation dans un lieu d'accompagnement pour des personnes dépendantes. C'est une occasion de se frotter à la vie active. En ce qui concerne les cultes, comme pour tout autre métier, «tout le déroulement s'apprend avec le temps et l'expérience. Ce qui est difficile, c'est d'avoir une pensée théologique sur le monde actuel». En cours, les textes sacrés «sont déconstruits, mais on ne prend pas le temps de les reconstruire après».
Aujourd'hui, Marjorie goetschy est professeure d'anglais au collège de Saussure. Auparavant, elle est passée sur les bancs universitaires de l'ancien système à trois branches. Elle a suivi des cours dans les disciplines d'anglais, d'espagnol et d'histoire. Avant de devenir professeure, elle a suivi deux années de formation pédagogique. |
Au début de ses études, Marjorie trouvait que les cours étaient trop académiques. Ce n'est qu'avec le temps, à partir de la troisième année surtout, que les cours ont commencé à être nettement plus intéressants. Quant à la formation pédagogique, précise-t-elle, «elle est aujourd'hui trop conceptuelle. Les futurs enseignants redeviennent des élèves et doivent rendre des écrits».
Pour l'enseignement de l'anglais au collège notamment, il n'y a pas assez d'heures pour permettre une véritable pratique de l'oral. «Il faut en plus de cela étudier la grammaire et la littérature, ce qui laisse en fin de compte peu de place à la pratique de la langue. Il faut en fait véritablement jongler avec ces trois éléments qui font partie de l'apprentissage de l'anglais». À l'université c'est pareil. Peu de temps est laissé pour la pratique orale. Les seules occasions
qui sont offertes sont la présentation d'exposés ou de thèses. «de plus, ajoute Marjorie, le nombre d'étudiants et la timidité de certains ne favorisent pas toujours les échanges oraux».
Aujourd'hui, il existe des laboratoires de langues. Cependant, l'étudiant est seul face à son ordinateur et doit se corriger lui-même. «ce n'est pas toujours facile, ni suffisant». des «tandems» sont également proposés. L'élève doit alors choisir un camarade étranger et lui apprendre le français. Marjorie voit là un bon moyen d'échange plus concret.
David Sossauer a obtenu avec succès son bachelor en biochimie. Il a ensuite effectué une année de stage pratique chez le vigneron Philippe Bovet avant de passer son examen d'entrée à changins pour commencer un parcours universitaire en oenologie, son but étant de reprendre le domaine familial. |
Son stage lui a permis d'acquérir un important savoir-faire en matière de travail de la vigne, puisqu'il réalisait toutes les opérations sous la direction de Philippe Bovet. Les cours à changins sont quant à eux nécessaires à la compréhension de chacune de ces étapes. Il lui faudra «attendre un à deux ans avant d'avoir le geste» et d'être performant.
En fait, il est difficile de trouver un équilibre entre pratique et théorie. La biologie a permis à david de participer à des laboratoires et c'est d'ailleurs ce qui l'a attiré. Il souligne aussi le fait que «ce ressenti par rapport aux études est affaire de caractère et que les attentes sont différentes pour chacun».
La première année à changins est très conceptuelle, mais à partir de la deuxième année, l'expérience est à l'ordre du jour et de nombreux stages sont mis en place. En France, ajoute david, les études oenologiques sont uniquement théoriques et les étudiants «ne mettent pas un pied dans la vigne». Quelle que soit la forme des études, il «faudra au final compenser par soi-même la partie qui nous a le plus fait défaut».
La biochimie lui a apporté une culture générale de base. S'il avait été mieux renseigné sur le choix de son parcours universitaire, il aurait malgré tout commencé par là, mais il aurait étudié l'oenologie dans un autre pays.