J'ai repoussé le moment d'écrire cet article pour etumag aussi longtemps que j'ai pu. C'est que pour pouvoir m'y mettre, il me fallait d'abord ouvrir mon dossier de photos et me remémorer l'année écoulée : les lieux visités, les personnes rencontrées, les anecdotes déjà oubliées. Ecrire ces quelques mots, c'est un peu comme regarder L'Auberge Espagnole quand on a connu Barcelone, désordre et mélodrame inclus. On se retrouve face à un amas de scènes et de personnages qui échappent aux catégorisations nécessaires à la rédaction d'un texte, trop de détails pour pouvoir les aborder, un temps trop long pour savoir en rendre compte.
Tout d'abord il y a le campus, un lieu idéalisé et quasi autosuffisant où vivent des milliers d'étudiants et où convergent chaque jour des milliers d'autres venus de la ville et des environs.
A vingt-cinq ans, j’avais parfois la sensation d’être proche de la retraite dans cet univers prévu pour satisfaire les besoins et envies de jeunes qui, pour la plupart, s’en iront avec un Bachelor. Un plus grand nombre d’étudiants signifie aussi une offre de cours élargie; s’il est vrai qu’en tant qu’Erasmus on n’est pas toujours les premiers servis, j’y ai malgré tout trouvé mon compte, et rien que pour cela le séjour en valait la peine. Pour ce qui est des études, la charge de travail n’est pas énorme. En littérature, le nombre de romans à lire est plus élevé, mais le nombre d’heures de cours par semaine subit une chute libre par rapport à la Suisse; cela donne l’opportunité de s’inscrire à l’une ou l’autre des associations étudiantes et de prévoir d’autres activités. |
Parkwood, c'est des habitations d'étudiants collées les unes aux autres pour former des «U» dans un quartier boisé des plus agréables en été (comme vu sur les prospectus) mais qui se révèle passablement boueux le reste de l'année. En effet, j'ai appris que l'Angleterre survit à n'importe quelle pluie ou tempête: on sortira en petite tenue même s'il gèle, on participera à des festivals sous des trombes d'eau, mais le pays s'écroule à la moindre neige, cette dernière bloquant bus et trains aussi bien que les voitures de particuliers et empêchant apparemment l'accès au campus situé sur une petite colline. Pas d'inquiétude donc s'il neige: les cours ont de fortes chances d'être suspendus par mesure sécuritaire. Pour le reste du temps, prévoir wellies (bottes de caoutchouc joliment décorées) et brollies (parapluies résistants joliment décorés) qui se révèleront salvateurs. On s'endurcit en allant vivre ailleurs. J'ai appris à survivre aux dangers de la cuisinière à gaz, aux toilettes en commun, à ma toute petite chambre, aux pannes diverses et aux infiltrations d'eau, ainsi qu'à un ou deux colocataires assez malsains. L'étonnant, avec les séjours à l'étranger, c'est que quoi qu'il advienne on en garde un très bon souvenir, si bien que même les pires moments finissent par sembler loufoques.
Le plus grand danger étant de se regrouper avec ceux parlant la même langue d'origine, je dois avouer que j'ai un peu snobé les Français.
Le campus réunit des gens venus d'un grand nombre de pays et, en restant flexible, on a la possibilité de rencontrer des personnes plutôt éclectiques, ce qui apporte un attrait certain aux nombreuses soirées dans les pubs et bars du campus comme en ville. Pour les adeptes du people watching, l'Angleterre deviendra immédiatement des plus intéressantes grâce à la variété des styles de ses habitants. |
Canterbury est une cité magnifique avec sa cathédrale- d'accès gratuit pour les étudiants- et sa vieille ville parcourue de canaux et de petits parcs. Le dimanche, les familles se promènent dans l'artère principale et l'ambiance est très décontractée. Il était important pour moi de partir pour un lieu qui aurait du charme en dehors du campus. Le Kent était donc idéal: mer au nord, est, et sud, vergers, champs et forêts, rivières, étangs et haies: de belles possibilités de promenades vers d'autres villages et petites villes des environs, seule ou entre amis. En fin de compte, une année à l'étranger c'est un mélange de bonnes et mauvaises expériences qui finissent par former un tout un peu encombrant lorsque vient le moment de rentrer. C'est qu'il est difficile de cerner plusieurs mois en quelques phrases au cours d'une conversation et qu'on finit inévitablement par déclarer mollement que «c'était bien». L'entente mutuelle qui régnait sur le campus lorsqu'il s'agit de la vie d'étudiante cède la place à la curiosité de ceux qui sont restés et avec qui on tente de partager une expérience qui commence déjà à nous échapper. Très vite, il reste juste assez de souvenirs, photos et numéros de natel pour se persuader que tout cela a bien été vécu, alors qu'on est de retour chez soi et que si peu a changé.
La crise économique faisant rage, j'ai observé la fermeture de nombreuses boutiques et les effets négatifs de la chute de la livre sterling sur mes colocataires anglais alors que je gagnais au change et m'enrichissais bien malgré moi. Une année Erasmus coûte assez cher; si le logement et les autres frais restent relativement stables, les allers et retours entre les deux pays, lorsque comme moi on décide de rentrer chez soi à Noël et à Pâques, augmentent le budget nécessaire. |
La meilleure manière d'économiser est de cuisiner soi-même autant que possible, les sorties répétées risquant d'alourdir fortement les dépenses. Lesdites sorties poussent aussi la famille, au téléphone et sur Skype, à demander avec insistance:«ça va?... tu ne manges pas trop mal?» Difficile d'en persuader qui que ce soit, mais j'ai très bien mangé en Angleterre. La région était fort bien choisie pour ce qui est de la qualité des produits locaux; les nombreux cafés, pubs et restaurants offraient souvent des plats délicieux, et même les bars du campus proposaient une carte des plus décentes. En lieu et place de l'infâme cantine voulue par le stéréotype, des restaurateurs indépendants se font concurrence pour proposer de bons menus à des prix convenables.