Asssistant-doctorant en physique des nanostructures, Alexandre Rydlo est aussi président de l'Assemblée d'Ecole de l'EPFL. Il est ainsi bien placé pour comprendre et défendre les doctorants, qu'ils soient suisses ou étrangers. |
Il y a plusieurs types de «fuite des cerveaux»: les Suisses qui partent terminer leurs études ailleurs et qui y restent, les étudiants étrangers obligés de quitter la Suisse à la fin de leurs études, mais aussi les étudiants des pays défavorisés qui quittent leur pays pour ne plus y revenir. Pour vous, quelles sont les implications de ces différents types?
Je pense que le séquençage que vous faites de cette «fuite des cerveaux» est assez juste. On a remarqué, dans les années 90 en particulier, qu'il y avait beaucoup de fuite de cerveaux suisses vers l'étranger, notamment vers les Etats-Unis, tant pour poursuivre leurs études que pour développer des start-ups, pour entrer dans le tissu universitaro-économique. Actuellement, on commence à remarquer que les Suisses qui partent à l'étranger reviennent au pays, parce qu'ils y trouvent des conditions économiques et sociales favorables au développement de start-ups. On le voit surtout dans un domaine-clé qui est la biotechnologie.
Maintenant, en ce qui concerne les étrangers qui quittent leur pays, particulièrement les pays en voie de développement, on remarque que beaucoup ne retournent pas dans leur pays d'origine. C'est là qu'il faudrait trouver un consensus pour faire en sorte qu'ils restent en Suisse au lieu de contribuer, indirectement, avec nos sous, à l'économie d'un autre pays. Je trouve en effet absurde que le contribuable suisse paie pour la formation de ces gens et que cela contribue finalement à l'économie d'un pays comme les Etats-Unis ou le Canada. C'est là une approche purement économique qui ne tient pas compte des facteurs éthique, humain et social, mais il y a un moment où il faut savoir faire la part des choses entre les différents paramètres. C'est un avis partagé tant par le milieu académique que par le milieu économique.
Une question bête et méchante... Ces étudiants ne prennent-ils pas des places de travail qui pourraient être dévolues à des étudiants suisses?
Si on regarde la situation aujourd'hui, on sait qu'en Suisse il manque beaucoup d'ingénieurs, notamment pour tout le secteur de l'industrie des hautes technologies et de la recherche biomédicale. Et ces secteurs ont besoin de main d'oeuvre hautement qualifiée. C'est une nécessité. C'est aussi une autre nécessité, lorsqu'on observe qui crée des entreprises ici en Suisse. Ce sont souvent des étrangers. Ou alors des étrangers qui les mènent. C'est aussi l'analyse d'Avenir suisse, qui se rend compte que ce sont souvent des étrangers, avec un certain dynamisme, une certaine motivation, qui sont des créateurs de nouvelles entreprises.
Dans cette optique de garder ces investissements réalisés par nos écoles en Suisse, quelles sont les possibilités qui sont offertes aux dirigeants des grandes écoles pour avoir un impact sur le monde politique? Comment agir sur les choix politiques?
Je pense qu'il faut en premier, au niveau politique, une vision claire de l'avenir académique de la Suisse. Le deuxième élément consiste à savoir ce que veulent la politique et les hautes écoles en termes de positionnement académique de la Suisse par rapport aux autres pays, soit au niveau mondial. Le mot d'ordre au niveau de l'EPFL est clair. Son président, M. Aebischer, veut régater au niveau des meilleures écoles mondiales. Le troisième est de savoir comment améliorer la relation entre les institutions universitaires et de faire en sorte que l'Etat la favorise. Enfin, comment l'Etat, ou un partenariat public-privé, peut favoriser l'apport de capitaux, pour permettre aux chercheurs qui sortent des institutions en ayant de nouveaux brevets, de nouvelles techniques, de créer une entreprise et d'entrer sur un marché. En faisant des comparaisons entre la Suisse et les Etats-Unis, on voit que les investisseurs sont plus prompts à prendre des risques pour aider des doctorants qui trouvent des nouvelles technologies, qu'à fournir de l'argent ou à soutenir les start-ups. En Suisse, nous n'y sommes pas encore. L'arc lémanique pourrait être un exemple dans la mesure où il y a déjà plusieurs entreprises qui collaborent étroitement avec l'EPFL et les deux universités lémaniques. Elles sont florissantes dans leurs domaines, montrent au reste du monde que cet endroit est attractif pour les entreprises et en attirent d'autres. Il devrait donc y avoir des synergies qui se créent entre universités, pouvoirs publics et entreprises privées, où on s'accorde pour augmenter les fonds à disposition des chercheurs.
Mais alors que fait l'Etat US que ne fait pas l'Etat Suisse? Sans parler des investisseurs privés?
L'Etat en lui-même a une politique d'immigration qui est clairement favorable à attirer dans le pays des cerveaux étrangers. Sauf erreur, 70 % de la recherche américaine est assurée par des gens qui sont non-américains. En résumé, cette politique d'immigration, qui met à disposition les outils et les capitaux, attire la matière grise étrangère. Par ailleurs, une grande partie des capitaux proviennent de firmes privées, ce qui n'est pas le cas en Suisse. Si je prends l'exemple de l'EPFL, elle est financée à presque 100% par l'Etat fédéral. La politique de M. Aebischer serait d'augmenter la participation des entreprises privées dans son fonctionnement, en tout cas dans la recherche. C'est bien, dans le sens que ça permet à l'école de se développer plus facilement, plus rapidement et d'optimiser les rapports entre recherche et économie privée. Dans un autre sens, il y a un certain cadre à fixer pour les partenariats publicprivé. Et si on arrive à avoir un cadre rigoureux, qui garantit l'indépendance de la recherche et son objectivité, on aura tout intérêt à développer ce genre de collaboration. A mon avis, la participation publique doit augmenter, mais il faudrait aussi que la part privée augmente. Il ne faudrait pas que cela soit un transfert, une répartition des tâches, il faut que ce soient les deux qui poussent dans le même sens.
Pensez-vous qu'un projet comme la carte bleue européenne pourrait passer la rampe en Suisse -une séparation, dans la politique de l'immigration, entre ceux qui viennent pour étudier et le reste de l'immigration?
Je préférerais que tout le monde soit traité de manière identique. Idéalement, on voudrait que la Confédération se rende compte que la recherche académique est un intérêt national prépondérant, et que les chercheurs soient traités spécifiquement, surtout ceux du troisième cercle.
Il y aurait le risque de faire une immigration à deux vitesses, en stigmatisant une population.
En effet, je serais d'ailleurs contre cette immigration à deux vitesses, mais cela pourrait être un premier pas. C'est toute la question de la politique de l'immigration suisse qui est à revoir, parce qu'il n'y pas que la question du tissu économique et social à prendre en compte, mais aussi celui de la natalité. On se rend compte qu'avec la population qui vieillit en Suisse, on a besoin de dynamisme au niveau de la natalité, qui pourrait nous être donné par la population étrangère dans notre pays. Alors même si aujourd'hui, on ne peut avoir de l'influence sur tous les paramètres, il faut quand même se poser la question de notre vision politique à long terme. Et pas s'arrêter aux prochaines élections.
Une sorte de développement durable de la recherche...
C'est certain qu'à l'aune de cette politique d'immigration, c'est ainsi qu'il faut réfléchir. Elle remet en question notre politique intérieure, mais aussi notre rapport à la politique au niveau mondial. Parce que la Suisse a une responsabilité quand elle forme des scientifiques étrangers, non seulement pour participer à sa propre économie mais aussi à celle des pays d'origine lorsqu'on pense à ces différences qui existent entre le nord et le sud. Ceux qui disent qu'il y a trop d'immigration ne se posent pas la question de savoir pourquoi il y a tant d'immigration. Quand on cherche les causes, on se rend compte que ceux qui migrent ne le font pas par hasard dans nos pays.