"L'opportunité, pour les gens ayant un autre spectre de valeurs, de servir la société". La formule de Frédéric In-Albon, responsable du centre régional romand du service civil, touche au coeur de la jeune institution et résume la quintessence de ce qu'est le service civil. Pourtant, jusqu'au début des années nonante, la personne déclarée apte au service refusant de rejoindre la troupe pour des raisons de conscience s'en allait croupir à l'ombre. Elle tombait alors sous le coup d'une condamnation pénale. Un autre régime succéda à celui- ci: la condamnation aux travaux d'intérêt général. «Nous étions toujours sur le mode de la condamnation», précise Frédéric In-Albon. |
Cette petite taille participe à entretenir une série de mythes au sujet du service civil. « Un de nos soucis, est de nous distancer de la protection civile, d'expliquer aux gens que ce n'est pas la même chose », explique le responsable du centre romand. Différence essentielle entre les deux : il faut être déclaré apte au service pour rejoindre le service civil. Un autre point d'ombre recouvre la possibilité d'entrer au service civil. La demande d'admission peut être déposée à tout moment de la carrière militaire. « Nous connaissons le cas d'un capitaine ayant déposé sa demande. Cela arrive parfois au retour d'un séjour à l'étranger, suite à la prise de conscience de la réalité de la guerre par exemple.»
Qui devient civiliste?
Les demandes d'incorporation au service civil invoquent deux principaux groupes d'arguments: le refus de tuer et le refus de participer à une institution usant et apprenant la violence. La courte période d'existence de l'institution ne permet pas encore d'analyser une possible évolution des raisons poussant à entrer au service civil. Au début, «les gens étaient sous le coup d'une condamnation. Pour devenir civiliste, malgré l'énorme pression, ils avaient fait un long chemin de réflexion, relève Frédéric In-Albon. Aujourd'hui, il y a peut-être plus de parcours personnels, mettant en avant d'autres arguments.»
Faut-il travailler dans un home?
Malgré une image persistante, le catalogue des missions disponibles ne se laisse pas réduire au seul secteur médico-social. Même si celui-ci représente la large majorité des affectations (environ 60-70%), il existe une multitude d'autres possibilités. Au milieu de celles-ci brille le Graal des civilistes: le service à l'étranger. Frédéric In-Albon tempère les rêves d'humanitaires parfois irréfléchis. Le service civil à l'étranger se caractérise par des conditions beaucoup plus strictes. «Sur place, il faut faire preuve de maturité, avoir les épaules solides et une bonne formation. Les missions à l'étranger sont toujours des missions de plus ou moins longue durée. Ce n'est pas un humanitaire tout rose, parfois fantasmé.»
Il tourbillonne dans les bureaux du centre régional du service civil, situé sur les hauts de Lausanne. A 32 ans, Frédéric In-Albon gère la structure composée d'une douzaine de collaborateurs. C'est son équipe qui reçoit et traite toutes les demandes de la Suisse francophone. A n'en pas douter, le jeune responsable se réjouit de relever les futurs défis du service civil. Son secret ? « Je fais un travail basé sur des valeurs. Lorsque je quitte le bureau, je peux dire que, à notre échelle, nous avons rendu le monde meilleur.»
Frédéric In-Albon, comment le service civil est-il considéré par la société suisse? Jouit-il d'une image positive?
Quand il est connu, je pense qu'il jouit globalement d'une image positive au sein de la population comme dans le monde politique. Pour nous, le principal problème est ailleurs: nous souffrons d'un déficit d'image. Peu de gens nous connaissent, et ceux qui le font possèdent parfois des informations peu claires.
Pourquoi ne pas agir contre ce déficit d'image?
N'oublions pas que nous sommes en position de recevoir des demandes. Nous mettons ensuite les civilistes et les établissements d'affectation en liaison. C'est entre ces deux acteurs que le « vrai » service civil se joue. Nous ne sommes donc pas là pour provoquer des demandes. Tout le noeud du problème se situe entre ces deux notions : informer et provoquer. Notre capacité d'informer n'est jamais directe. Par exemple lors du recrutement, l'information n'arrive que par le biais des autorités militaires. De plus, il s'écoule souvent du temps, parfois plusieurs années, entre le moment où une information, même fragmentaire, est reçue et le moment du dépôt d'une éventuelle demande.
Vous évoquez la question du rapport avec le service militaire. Le service civil et ce dernier ont connu une histoire difficile. Pensez-vous que, à terme, les deux institutions soient mises sur un pied d'égalité?
L'obligation de servir au sein de l'armée continue à conserver sa priorité. Qui ne peut pas servir pour raison de conflit de conscience doit motiver sa demande. Sur ce point, les choses ne changeront pas à court terme. L'obligation de servir reste un tabou en Suisse. La question n'est jamais abordée de façon frontale. Discuter en quoi le service civil peut être pensé comme équivalent à l'armée oblige à lancer une réflexion globale sur la question du service militaire. Nous entrons ici dans une problématique hyper-complexe où chaque évolution prend beaucoup de temps.
Les choses bougent toutefois. La procédure de consultation de la motion Studer vient de se terminer. Les conditions d'admission au service civil devraient changer. Ferons-nous un pas vers plus d'égalité dans la relation armée / service civil?
Rappelons qu'il est seulement question des conditions d'admission, on ne rediscute pas ici le fonctionnement global de l'institution. Si la motion Studer est acceptée, le candidat civiliste devra toujours déposer une demande écrite. En revanche, l'entretien devant la commission disparaîtrait. C'est la notion de preuve par l'acte qui ferait alors le coeur de l'argumentation. Si le candidat est prêt à réaliser un service 1,5x plus long que l'armée, c'est la preuve qu'il a des raisons satisfaisantes. La motion va maintenant prendre le chemin des chambres fédérales. Dans le meilleur des cas, elle pourrait entrer en vigueur en été 2009.
Le service civil a fêté en 2006 ses 10 ans d'activité. Selon votre estimation, dans quelle direction va-t-il se développer?
Si les conditions d'admission sont modifiées et que le taux de 1,5x est retenu, nous devrions aller vers une augmentation des effectifs. En effet, ces simplifications devraient encourager plus de gens à entreprendre la démarche. En tous les cas, la procédure devrait être perçue comme moins effrayante. Pour ce qui est des tendances à long terme, il est trop tôt pour en parler avec précision. Le service civil n'a pas encore atteint sa maturité. Disons qu'il commence seulement à marcher. Attendons de voir à quoi il ressemblera lorsqu'il sera devenu adulte.