Tu t’es toujours demandé comment on devenait journaliste? Ce métier fait partie d’un ensemble de professions pour lesquelles aucun «cursus type» n’existe. Des études plus ou moins spécialisées, techniques ou théoriques peuvent te mener à travailler dans ce domaine. Depuis 2008, certaines universités ont changé la donne avec une proposition audacieuse: une maîtrise universitaire en journalisme, avec, chose rare, un axe important sur la pratique.
L’Université de Neuchâtel a ajouté à son offre un master unique en Suisse: la maîtrise universitaire en journalisme. En partenariat avec l’Académie du journalisme et des médias (AJM), une première volée d’étudiants a été diplômée en 2008. Des diplômés prêts et «opérationnels»... car la spécificité de ce titre, c’est son aspect professionnalisant. Mais ce n’est pas là son seul atout, puisqu’il serait également reconnu à l’étranger. La même année, l’Université de Genève ajoutait à son master en communication et médias une mention en journalisme, dans le même esprit qu’à Neuchâtel: associer pratique et théorie, avec des stages professionnels et des ateliers réguliers. Ces deux universités sont les premières à proposer une formation universitaire digne de ce nom pour le journalisme, tout du moins au niveau du master.
En effet, à l’Université de Fribourg, c’est au niveau du bachelor que se situe l’offre; une branche complémentaire de 30 à 60 crédits ECTS en «journalisme et médias» est proposée depuis 2010, dont l’objectif est de «former aux bases théoriques et méthodologiques du journalisme et de la communication [...]» (source: site de l’UNIFR). Les autres universités suisses, quant à elles, ne contiennent pas dans leur panel d’offres des formations en journalisme. Bien souvent, elles ne proposent que des maîtrises en «communication et médias» ou «information et communication», titres peu évocateurs derrière lesquels des débouchés professionnels très divers se profilent. De plus, ces maîtrises sont essentiellement théoriques. Par conséquent, les voies créées par Neuchâtel et Genève représentent un changement important pour la profession. Mais comment devenait-on journaliste avant?
L’accès au métier n’est soumis à aucune condition formelle. Cependant, selon le Centre romand de formation des journalistes (CFJR), «plus de six journalistes sur dix commencent leur formation après avoir acquis un titre universitaire» (source: site du CFRJ). Même si la profession semble ouverte, elle exige en réalité un niveau de formation relativement élevé. La voie traditionnelle pour devenir «pro» est l’accomplissement de deux années de stage dans un média - en parallèle avec des cours dispensés par le CRFJ. En fin de stage, un examen sanctionne la formation et octroie l’inscription au fameux registre professionnel (RP). Sur la base de ces données, on peut suggérer un parcours «standard»: un bachelor, un stage de deux années avec des cours, puis finalement la recherche d’un emploi. La difficulté principale se situe au niveau du stage RP, car les places sont rares.
La formation universitaire peut être effectuée dans des domaines très variés, l’important étant d’acquérir un ensemble de connaissances plus ou moins spécialisées. Ainsi, étant diplômé de n’importe quelle faculté, tu peux potentiellement devenir journaliste. Les filières généralistes (sciences politiques, par exemple) sont recherchées, bien qu’un bachelor spécialisé puisse t’avantager si tu vises un journalisme particulier (sport, santé ou religion, par exemple). Le cursus universitaire permet d’acquérir une base théorique solide, de même que les compétences indispensables à toutes études; organisation du travail, gestion du temps, recherche d’informations...
Les voies proposées par l’UNINE et l’UNIG E sont des condensés de la voie traditionnelle. Le master dure deux ans, durant lesquels théorie et pratique sont imbriquées. Ces formations expriment une volonté de répondre à d’autres besoins, car elles s’adressent «aux futurs journalistes [...] ainsi qu’aux cadres d’entreprise» et incluent «l’acquisition de connaissances dans les domaines de la gestion» (source: site de l’UNINE). Une des motivations ayant mené à la création de ces formations est donc le besoin spécifique en personnel des entreprises de médias. La formation est complétée par des compétences «managériales»; gérer une équipe, faire face à la concurrence, définir des stratégies... En bref, rendre les journalistes plus attentifs à la réalité d’un marché en pleine mutation, et plus aptes à s’imposer dans un environnement concurrentiel. L’avancée de la technologie et son impact sur l’information sont une préoccupation centrale de ces nouvelles voies. L’AJM précise sur sa page internet de l’UNINE que la formation se donne pour objectif «[...] d’anticiper les évolutions rapides auxquelles le secteur des médias d’information est confronté». Avec le déclin de la presse écrite et l’essor d’internet, l’avenir de la profession nécessite en effet une adaptation.
Qui a dit que l’université était trop théorique? Avec ces masters, pas question de passer deux années à potasser. Les stages en entreprise (radio, télévision, journaux) font partie intégrante du cursus et valent leur pesant de crédit ECTS. Le journalisme est réputé pour être un «métier de contact»; l’insertion dans le milieu professionnel étant facilité par ces stages, les contacts se font plus vite. Natacha Morel, vingt-cinq ans, est diplômée depuis février 2011 de l’UNIG E en journalisme. Elle confirme: «Les stages offrent la possibilité de nous faire des contacts, c’est leur principal avantage [...]». Elle estime cependant que l’accent mis sur la pratique n’est pas encore suffisamment important; «Nous avons beaucoup d’exercices de presse écrite mais peu de retour de la part des profs. Dur de s’améliorer si on ne sait pas ce qui n’a pas joué. Nous devons faire un à deux stages de un ou deux mois. Au minimum, nous ne sommes donc obligés de faire qu’un mois de stage. Bien trop peu! J’ai fait en tout six mois de stage. Je trouve déjà que c’est peu...». Concernant l’aspect management, elle confie: «On y touche dans des cours tels que «économie et management des médias». Mais c’est peu. Encore une fois, c’est une question de débrouillardise.» Selon elle, «[...] il en va de la responsabilité de chacun de faire des stages pour lui-même. Ceux qui se débrouillent le mieux sont ceux qui se «décarcassent» hors du master. Malgré l’apport de nouvelles compétences par le biais de ces masters, la débrouillardise resterait donc la qualité indispensable du futur journaliste.
Genève et Neuchâtel créent des pôles d’excellence. Les diplômés de l’AJM bénéficient d’un avantage certain avec une maîtrise professionnalisante. La filière traditionnelle est-elle désuète? Les nouveaux masters amènent indéniablement des compétences supplémentaires, qui deviennent essentielles avec le rôle croissant d’Internet et des nouvelles technologies dans l’information. Selon Natacha Morel, «I l y a des pour et des contre. Si les deux filières coexistent, l’avantage est la diversité des horizons d’où proviennent les étudiants. Ils ne sortent pas d’un moule.» Mais la jeune diplômée reconnaît que les stages obligatoires intégrés dans ces masters représentent un véritable atout, et que les étudiants qui n’en bénéficient pas sont quelque peu désavantagés: «S’ils arrivent à en faire pour eux-mêmes en dehors, c’est bien pour eux... Mais dans le cadre de ce master, on apprend quand même quelques rudiments importants qui m’ont beaucoup apporté».
Les étudiants qui choisissent de ne pas passer par ces masters, ou qui ne sont pas reçus, seront inévitablement concurrencés sur ce plan-là. Comme Natacha Morel, les titulaires de la maîtrise «communication et médias, mention journalisme» de Genève ne peuvent pas travailler tout de suite, car leur formation n’est pas professionnalisante (contrairement à Neuchâtel). Ils doivent chercher leur place de stage RP et leur temps de formation est donc un peu plus long. Ils ont néanmoins un CV plus attractif que les étudiants étant uniquement en possession d’un bachelor...
Il faut tout de même relativiser cet avantage; si ce titre universitaire permet peut-être d’avoir accès plus rapidement à un premier emploi, il ne peut pas à lui seul déterminer la qualité du travail d’un journaliste débutant. Le journalisme étant un métier de terrain, la fameuse «débrouillardise» peut faire toute la différence. Il faut néanmoins prendre en considération l’attrait que Genève, et surtout Neuchâtel, ont gagné depuis 2008 dans ce domaine. Il serait judicieux que d’autres universités mettent à jour leur offre en la matière. L’accession à ces masters est déjà relativement sélective, il est tout à parier qu’elle le deviendra davantage.