Ce mois-ci, etudiants.ch se penche sur le réseau des HEP suisses et s'intéresse plus particulièrement à la dynamique de conversion identitaire du métier d'enseignant. Etat des lieux avec Guillaume Vanhulst et Cyril Petitpierre, respectivement recteur et directeur de formation de la HEP Vaud.
Quel est le bilan de santé de la HEP Vaud?
Guillaume Vanhulst: Le parti pris d'universitariser la formation entraîne de nombreux changements portant sur la structure de fonctionnement, les qualifications du personnel ou encore les curriculums de formation qu'il faut ajuster aux conditions de Bologne. Cette perspective ambitieuse débouche sur une conversion identitaire du métier d'enseignant. Ces transformations se sont opérées en même temps qu'on assistait à une explosion des effectifs. Résultat: l'institution évolue dans une bonne direction mais se situe déjà au maximum de ses capacités.
Cyril Petitpierre: L'institution se porte bien dans la mesure où elle est attractive. Elle doit l'être encore plus pour répondre au besoin social puisque l'école publique requiert un grand nombre d'enseignants supplémentaires. La HEP doit également continuer d'adapter ses structures de formation aux personnes de plus en plus nombreuses qui débutent sur le tard ou suite à des reconversions et développer les opportunités de formation continue.
Le rôle de l'enseignant a radicalement changé, alimentant des paradoxes entre les attentes à l'égard de l'école et l'évolution sociale...
GV: Les enseignants sont confrontés à un public beaucoup plus hétérogène et moins préparé à l'étude. Autant l'enseignant a été considéré comme un agent d'un système, réputé, savant et censé institutionnaliser les élèves par le savoir et les compétences particulières, autant le rôle d'acteur est aujourd'hui mis en avant. Le métier s'en trouve considérablement complexifié.
Les médias continuent pourtant de véhiculer des images très traditionnelles. Lorsqu'on parle du bon enseignant, on ne s'attarde pas sur ce qu'il fait, mais sur ses qualités personnelles. C'est aussi important, mais la modification identitaire visait à remettre au centre des préoccupations l'activité professionnelle. Ces changements, souvent vécus par les enseignants comme des altérations des conditions de travail, doivent être pris en compte dans les parcours de formation. On commence à observer avec un peu plus de précision les effets de cette conversion identitaire. On constate par ailleurs des fractures intergénérationnelles au sein du corps enseignant. Les stagiaires en formation ne perçoivent pas les difficultés du métier de la même façon que leurs praticiens formateurs. Ils les affrontent avec beaucoup moins d'angoisse que leurs prédécesseurs. |
Image dévalorisée, stress, choc des générations... Quel regard portez-vous sur l'épuisement professionnel qui touche nombre d'enseignants?
GV: Le métier d'enseignant, avec le poids social et les attentes, génère un stress professionnel important et favorise le burn-out. On remarque toutefois que le métier s'inscrit aujourd'hui beaucoup plus dans une approche de collaboration, de partage et de socialisation à l'interne des établissements. L'enseignant seul dans sa classe qui enseigne toutes les disciplines, ça devient très rare. Cela permet de générer une réponse plus collective à des difficultés de fonctionnement. Cette réponse collective, les jeunes enseignants l'assument plus facilement que les anciens collègues qui ont connu un modèle d'organisation et un modèle identitaire très différents.
CP: J'ai vécu en tant qu'enseignant une époque où la règle imposée par les anciens était: «A la salle des maîtres on ne parle pas d'école.» L'enseignement était autrefois un métier d'individualiste. Aujourd'hui, on essaye d'inculquer à nos étudiants l'importance du travail d'équipe. L'accent est mis également sur la construction de projets de recherches. C'est ce qui démarque les jeunes enseignants de leurs prédécesseurs. I l y a 15 ans, le rapport à la recherche était encore distant. I l n'était pas rare que les cadres pédagogiques soient fiers de n'avoir jamais lu un livre de pédagogie.
De nombreuses voix ont brandi le spectre d'une pénurie d'enseignants. Comment appréhendez-vous ces craintes?
CP: Ce sujet a été très médiatisé. Pénurie forte il y a, mais plutôt dans les cantons alémaniques. En Suisse romande, le déficit touche surtout certaines branches comme l'allemand, l'anglais, les mathématiques ou la musique. Il manque également d'enseignants disponibles pour assurer des remplacements.
GV: Le marché de l'emploi est certes tendu, mais cela joue en faveur des étudiants qui sont assurés de trouver de l'emploi. Ceci étant, nous ne sommes pas dans une situation de pénurie grave. L'erreur serait d'ouvrir les vannes à la formation rapide et de laisser entrer un maximum de gens avec peu de diplômes, comme ce fut le cas dans les cantons alémaniques, avec des conséquences très dommageables. S'il est nécessaire de faciliter l'accès d'un plus grand nombre de personnes à la formation, il ne faut pas que le niveau d'exigences au terme de la formation soit remis en cause.
Dans ce contexte mouvant, les qualités requises demeurent-elles immuables?
CP: La communication demeure une composante essentielle du métier. Le public évoluant, l'enseignant doit savoir s'adapter et vivre l'incertitude. Tout en cultivant une certaine souplesse et une capacité à se remettre en cause, il doit faire preuve de solidité et savoir où il va.
GV: Il faut voir cela par couches. La strate anthropologique, qui renvoie à la capacité d'ouverture à l'autre, n'a pas changé. La strate que je qualifierais de politique a pour sa part évolué. L'école n'est plus une institution avec des règles incontournables. Cela modifie considérablement l'image professionnelle de l'enseignant, lequel a l'impression d'avoir perdu son statut antérieur qui était lié à la fonction institutionnelle de l'école. La strate contextuelle, enfin, est marquée par la complexification des savoirs. Tout ce qui constituait des certitudes parfois figées et fermées sur elles-mêmes est désormais considéré comme objet potentiel de débat. Dans cet environnement plus volatile et évanescent, l'enseignant a une plus grosse part de responsabilité personnelle quant au choix des connaissances qu'il mobilise.
CP: Autrefois, l'enseignant était le principal porteur des connaissances; aujourd'hui, les vecteurs de transmission de savoirs sont extrêmement divers. L'enseignant n'est que l'un des canaux par lesquels les élèves vont apprendre. Il doit dorénavant savoir les aider à structurer leurs connaissances, à développer leur esprit critique.
Qu'en est-il de la question de la «surféminisation» de la profession?
CP: Nos étudiants sont effectivement majoritairement des femmes. La représentation varie en fonction des niveaux d'enseignement. Du côté des futurs enseignants de gymnase, on atteint à peu près la parité, alors que la part d'étudiantes s'élève à environ 65% chez les futurs enseignants du secondaire I. Concernant le primaire, la situation était assez extrême il y a 6 ans avec 95% de femmes. On est maintenant descendu aux environs de 85%.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces disparités. C'est d'abord un métier où il est facile de travailler à temps partiel et avec des horaires adaptés. Or, lorsqu'une femme se projette dans une carrière, les habitudes sociales étant ce qu'elles sont à ce jour, elle peut facilement s'imaginer concilier ce métier avec des contingences de type familial. Un autre aspect est lié au salaire auquel les hommes seraient plus sensibles. Plusieurs cantons ont d'ailleurs planché sur des revalorisations salariales. L'attractivité de la profession joue également un rôle. A ce propos, la mise en place de masters consécutifs à un bachelor en enseignement primaire s'inscrit dans une politique de formation qui a aussi pour but de permettre une diversification professionnelle, des reconversions, de développer des carrières avec d'autres étapes de formation. |
Qu'est-ce qui dans le contexte actuel fait l'attrait du métier?
CP: Ce métier conjugue un aspect relationnel fort avec un rapport à la connaissance en général. Ensuite, en marge du temps de présence en classe, il génère une part très importante de temps professionnel librement géré. Ce sont là des ressorts très attractifs du métier.
GV: Le principal attrait reste le contact avec les élèves et avec la connaissance. Les réponses divergent lorsqu'on s'adresse à des enseignants primaire ou du secondaire post-obligatoire. Les premiers privilégient l'aspect relationnel alors que les seconds mettent l'accent sur la branche enseignée. Le métier d'enseignant a aussi développé une forte composante interactive. Le fait que l'on reconnaisse l'enseignant comme un acteur intelligent des systèmes constitue aussi une forme de revalorisation du métier, même si corrélativement ça lui fait peser plus de responsabilités sur les épaules. Les manuels ne suffisent plus, c'est un métier du complexe, qui nourrit la curiosité intellectuelle.
Le projet HEP est né au milieu des années 90, lorsque les cantons ont lancé une réforme coordonnée aboutissant sur la tertiarisation de la formation des enseignants du préscolaire au secondaire. Le pilotage repose sur les règlements de reconnaissance des diplômes édictés par la Conférence des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP). Si le concept est commun, l'instruction publique constitue pour sa part un objet cantonal. Les cantons ont ainsi concrétisé le projet à des vitesses variables. Certaines HEP conservent un fonctionnement similaire à celui des anciennes écoles normales. D'autres sont assimilées à l'université - c'est le cas à G enève avec l'IUFE. D'autres encore se structurent sur le modèle universitaire - c'est le cas à Lausanne.
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