D'ici l'an 2010, toutes les Hautes Ecoles de Suisse devront s'être acoquinées au régime de Bologne. Cet immense chantier administratif à l'échelle européenne commencé en 1998 aura laissé quelques étudiants en rade, et fait couler beaucoup d'encre.
Le processus de Bologne a vu le jour en 1998 à Paris, lors de la conférence donnée à l'occasion du 800ème anniversaire de l'Université de la Sorbonne. C'est dans ce cadre que les ministres de l'éducation de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Italie et de l'Allemagne ont adopté, le 25 mai 1998, une déclaration commune posant les fondements d'un processus commun de réforme des systèmes d'études universitaires en Europe. D'autres pays se sont ralliés à ce processus de réforme, dont la Suisse.
Le processus s'est poursuivi au niveau politique par la déclaration de Bologne qui a été signée, le 19 juin 1999, par 29 ministres européens en charge de l'éducation, à l'issue de la conférence sur l'espace européen de l'enseignement supérieur. La déclaration de Bologne engage les pays signataires à réaliser les objectifs concrets suivants:
Créer un système de diplômes compatibles dans toute l'Europe;
Mettre un place un système de d'études à deux échelons (bachelor/master);
Introduire un système d'unités capitalisables;
Pomouvoir la mobilité;
Promouvoir la coopération européenne en matière d'assurance qualité.
Depuis, les conférences s'enchaînent (Prague en 2001, Berlin en 2003 et enfin Bergen en mai 2005), durant lesquelles les pays présentent leur avancement dans le processus. La Suisse fait partie des pays les plus avancés dans cette réforme: les premiers diplômes de bachelor ont été délivrés en 2004 en Sciences économiques et en Droit. Plus de la moitié des étudiants débutants dans les Universités suisses sont inscrits dans un cycle de bachelor. Les HES passent au système de Bologne à l'automne 2005. De plus, la Suisse fait figure de pionnière pour les études de Médecine, où les cursus seront réformés dès 2006.
Miracle ou mirage?
«C'est une révolution tranquille qui se développe comme une traînée de poudre sans obligations juridiques, par la seule volonté de la communauté universitaire et politique, selon Charles Kleiber, Secrétaire d'Etat à l'éducation et à la recherche. La Convention a été signée jusqu'à aujourd'hui par environ 50 pays. Dans cette construction, la Suisse a une position exemplaire. Comme toujours chez les Suisses, il y a un génie du sérieux (sourire)!».
Mais au-delà de ce tableau d'apparence idyllique, beaucoup d'étudiants se retrouvent largués, par manque d'informations. Nombreuses sont les mesures qui sont appliquées alors que la communication entre les institutions académiques et/ou fédérales restent muettes.
Un des problèmes les plus préoccupants étant la situation des étudiants finissant dans l'ancien système, sanctionné par une licence, et qui ne savent plus à quel saint se vouer. «Le fait d'avoir été entre deux vagues ne doit pas pénaliser les étudiants confirme Charles Kleiber. Le débat est ouvert, mais la règle discutée c'est de pouvoir obtenir sur demande une équivalence licence/master. Cela devrait entrer en vigueur assez rapidement.» En ce qui concerne la représentation des étudiants, Berne n'était pas des plus motivées à recevoir directement leurs plaintes et/ou leurs inquiétudes: «Quand je suis arrivé au Secrétariat, il n'y avait pas vraiment de tradition de participation des milieux étudiants, nous confie Charles Kleiber. Mais nous partons aujourd'hui de l'idée que l'étudiant n'est pas client, mais partenaire et usager du système. Et c'est pour cela que dans le groupe qui met en place les lois, il y a une représentation estudiantine, et les signatures des Accords de Bologne se sont faites en présence d'un étudiant.» Il est difficile de calculer l'impact réel que peuvent amener ces représentants dans un processus aussi vaste et compliqué. De plus, on voit difficilement une seule étudiantE taper du poing sur la table des négociations. Lorsqu'on se retrouve partie intégrante d'une si grande machine, il est très difficile de suivre les négociations tout en gardant la tête froide.
15% des filières en situation «inacceptable»
Ce qui est sûr, c'est que certains étudiants se sont révélés très tôt être de farouches opposants au changement introduit par Bologne.
Cette mobilisation estudiantine contre les réformes de Bologne se basent essentiellement sur deux axes: une hausse du prix des études, ainsi qu'une baisse de qualité de l'offre des établissements. Sur chacun de ces deux points, il est difficile de choisir son camp, étant donné que personne ne peut véritablement calculer l'impact réel qu'auront les accords de Bologne sur le monde académique et le monde du travail. D'autant plus qu'une part importante des modifications des cursus se fait de façon indépendante pour chaque Université.
La Confédération a d'ailleurs mis à disposition 30 millions de francs, répartis en fonction du nombre d'étudiants par établissement, aux différentes Universités pour faciliter la mise en oeuvre administrative. Mais on peut sérieusement envisager que beaucoup de branches sont menacées de changements profonds. Lesquelles ? L'avenir nous le dira assez rapidement.
«On doit faire un travail là-dessus, affirme Charles Kleiber. D'après nos calculs, 15% des filières n'avaient pas le bon taux d'encadrement. Il existe deux types de situation: il y a tout d'abord les toutes petites disciplines, avec un professeur et cinq étudiants, par exemple, où la masse critique ne garantit pas la créativité entre étudiants et professeurs. L'autre cas, c'est un afflux énorme d'étudiants où vous avez des auditoires qui sont bondés. Les deux sont inacceptables et doivent être corrigés.»
Malgré les bouleversements qui s'annoncent, Charles Kleiber tient à rassurer ceux qui étudieront encore en 2010: « On n'entre pas dans une logique de révolution permanente, assure-t-il. Le système aura besoin de calme après cela. On ne peut pas tout le temps changer ! »
Cette question, vous êtes certainement des centaines à vous la poser. En effet, la situation des étudiants de l'ancien système, qui achèvent maintenant un cursus ponctué d'une licence après 8 semestres, est encore floue. Dès lors, comment s'assurer que les employeurs ne dévaloriseront pas le diplôme ? Et le problème se pose aussi pour ceux qui souhaitent continuer leurs études pour effectuer un postgrade à l'étranger par exemple.
Au niveau des équivalences licence/master, la discussion est encore ouverte au sein de la CRUS. La principale raison de ce manque de ligne claire tient principalement du fait qu'aucun master n'est encore arrivé sur le marché du travail, et qu'il est par conséquent encore difficile d'observer la réaction des entreprises face à la mue des diplômes. Concrètement, la solution proposée aux étudiant ayant suivi un cursus «classique » est la suivante: se présenter au service compétent de son Université avec une demande, pour obtenir un « certificat d'équivalence ». Mais une chose est d'ores et déjà sûre, celui qui a une licence et ce certificat ne pourra pas s'autoproclamer détenteur d'un «Master» sur son CV. «Il est évident que le Master représente une plus-value par rapport aux anciennes études, affirme Raymond Werlen, Secrétaire général adjoint de la Conférence des Recteurs des Universités Suisses (CRUS). Nous avons mené une étude pour connaître le comportement des autres pays européens qui sont dans la même situation. Mis à part la Russie, personne ne prévoit de faire l'échange pur et simple d'une licence par un master. L'utilité d'un tel échange semble de fait assez discutable pour la recherche d'un emploi.». Le même constat prévaut lorsqu'il s'agit de vouloir prolonger ces études: Il faudra probablement attendre quelques semestres avant que des mesures claires ne voient le jour.
Lorsqu'on sait que toutes les Hautes Ecoles seront également touchées par le processus de Bologne, on peut se demander en quoi la distinction entre HES et Université reste pertinente. D'autant plus que les réformes sont identiques en tous points à celles des Universités et Ecole polytechnique. Mais pour Charles Kleiber, cette différenciation ne fait aucun doute: «La différence, c'est que les HES donnent exceptionnellement des masters tandis que les Universités en donnent régulièrement (en effet, les minima pour obtenir un master dans une HES frisent la perfection). Autre différence, les HES ne délivrent pas de doctorats. On ne veut ni fusion ni confusion entre Université et HES. Ce que nous désirons, ce sont de Hautes écoles ayant une mission différente, car plus orientées sur la pratique, mais qui conservent leur génie.»