Pour la beauté de la Science, mais pas seulement…
Petit pays, la Suisse se profile comme une superpuissance scientifique, championne du monde avec la Finlande du nombre d’articles académiques parus par habitant et deuxième derrière les USA, s’agissant de la reconnaissance internationale desdites publications. Un succès dû pour une grande partie à un vivier universitaire fort qui assure la relève scientifique en se lançant dans des doctorats.
Proche de la fin de ton master, tu t’interroges sur ce statut mythique alors que tu as toujours secrètement rêvé de repousser les limites du savoir et d’avoir un jour ton nom inscrit au panthéon des grands savants. Mais avant de prolonger tes études, une petite évaluation des avantages et des inconvénients s’impose. Marche à suivre..
Eurêka !
D’abord, il s’agira de savoir quoi faire. Trouver l’idée de génie qui te permettra de soutirer une bourse de recherche au Fonds National Suisse. Celui-là même qui finance 7’500 chercheurs à coup de 700 millions de francs par an. Si réfuter les thèses d’Einstein est déjà pris, tu peux toujours tenter de prouver l’immatérialité de l’être… à y réfléchir, sûrement pris aussi. Enfin, réinvente la roue, histoire de la faire tourner... Par exemple en théorisant encore et toujours la domination des bien-pensants sur le reste des 99% de la population tant attachés à leur souffreteuse condition.
Plus prosaïquement, tu peux aussi intégrer une équipe de recherche, ton thème d’études t’étant alors proposé, maillon nécessaire d’un projet bien plus grand. De même, ton financement pourra se trouver directement dans l’économie privée. Sous tutelle d’une des 12 universités suisses autorisées et avec la bénédiction d’un professeur spécialiste du domaine, il t’est possible d’effectuer tes recherches en collaboration avec une compagnie te sponsorisant.
Douces perspectives
À ce stade, il faut quand même te poser la question de l’aboutissement. Car le choix de se lancer dans un doctorat dépend également des perspectives professionnelles entrevues. Ledit titre ayant un retentissement différent selon qu’il s’agisse d’une carrière académique – où il se voit incontournable – et une profession dans le privé, situation alors plus compliquée. Exemple : tu es un physicien ou chimiste qui veut continuer à faire joujou avec tes meilleurs potes, Particule et Molécule. Ton doctorat, d’une durée de 4 à 5 ans t’ouvrira alors les portes du fleuron de l’industrie suisse. Hightech, micro-tech, biotech, ou star-trek, tous désireront s’accaparer ton savoir afin de rester mondialement compétitifs dans le domaine de la haute technologie. Eh oui, les Chinois bossent aussi. Tout cela pour dire que provenant des sciences dites exactes ou naturelles, un thésard gagnera bonbon plus facilement. Les 5 ans d’études supplémentaires se voyant ainsi rentabilisées.
Ce constat est cependant à relativiser en ce qui concerne un ingénieur issu des sciences et techniques, statut très prisé du marché même sans le fameux sésame.
Un avenir radieux qui s’assombrit lorsque tu étudies les sciences humaines. Dans ce cas, ton doctorat conquis de haute lutte servira moins à te trouver un job bien rémunéré qu’à faire le beau au bistrot. Exemple. Juriste ou politologue, tu veux devenir avocat ou diplomate. Alors qu’il y a quelques années, la thèse était le passage obligé, elle se veut aujourd’hui quasiment une perte de temps.
Et si lettreux, tu veux rester lettreux, ton expertise pointue sur le Veni sancte spiritus de Mozart – savoir par ailleurs peu usité dans le privé – te démarquera autant que ta trop grande spécialisation alliée à ton manque d’expérience professionnelle pourront t’être reprochés. En effet, la moyenne d’âge des doctorants accomplis se situant à 31 ans, tu devras régater face à des master-universitaires qui travaillent déjà depuis plusieurs années, un atout tout aussi important voire plus. Car attention, les docteurs Folamours peuvent faire peur, grosses têtes considérées comme déconnectées de la réalité et ne percevant celle-ci qu’à l’aune de maximes kantiennes ou de formules chimiques.
Dure pesée d’intérêt qu’il te faut donc mener pour être certain de pouvoir exploiter, à la corde, ton futur CV. Seul bon plan assuré, une thèse en économie qu’il t’est possible de mener en deux ans seulement. Là, ton autorité sera à tous les coups reconnus, surtout lorsqu’il s’agira d’expliquer pour quelles raisons tes prévisions du mois passé ne se sont pas vérifiées. Reste qu’une telle valorisation de tes études, une fois un emploi dégoté, influera avant tout en bien sur ton indépendance et tes compétences. Les banques et autres assurances apprécient toujours la proximité d’un fondé de pouvoir académicien, histoire de faire bien.
C’est grave docteur ?
Une chose reste cependant sûre pour tous, quel que soit le domaine de recherche. Larbin tu seras et mal payé tu resteras. Pour la durée de ton doctorat en tout cas. De fait, alors que 5 ans après la fin de ses études, un indépendant s’enrichit en moyenne de 80’000 francs annuellement, un employé ordinaire de 90’000 francs et un employé avec une fonction de direction de 100’000 francs, un thésard proche de sa soutenance touche un maigre pécule à hauteur de 70’000 francs. Une faible rémunération qui s’explique par un engagement souvent à temps partiel consacré pour une moitié à la rédaction de la thèse et pour l’autre, à un cahier des charges alliant enseignement et recherche au bénéfice d’un professeur.
À savoir que dans ces conditions, bon nombre d’assistants cumulent les jobs afin de boucler leurs fins de mois. Une situation d’autant plus difficile à vivre lorsque l’encadrement de ton professeur de thèse laisse à désirer et que les prétitularisations conditionnelles ou autres promotions se font rares. Il semble que ce soit là le prix à payer pour prolonger encore de quelques années une vie de chercheur vagabond. Alors, si ce n’est que du fait d’un faible salaire ou de la peur de l’exploitation, ne te prive surtout pas. Haut les coeurs et lance-toi ! Car une fois docteur, tu auras dignement fait avancer le Schmilblick. Et cela n’est pas rien.