Il suffi t d’un pas mal placé, d’un talon qui se coince sur un rebord, d’une semelle glissante, pour s’auto infliger une honte immense (et douloureuse) de chuter par-dessus d’une volée de marches. Des marches que tu dévaleras au ralenti, sous les yeux ébahis, mais légèrement moqueurs, de tes compagnons de cours.
Nous sommes déjà tous tombés sur une croûte légèrement desséchée dans ces fameux paniers, pleins de morceaux de baguette déshydratée. Mais imagine : ce jour-là, tu dois manger seul car tous tes amis sont au cours facultatif de pôle dance. Tu mords dans le pain et qu’il se coince au milieu de ta gorge. Envahi par la honte, tu n’oses pas demander de l’aide autour de toi et signaler ta détresse. Heureusement, tu seras sauvé de justesse quand la table adjacente se rendra compte de ta nouvelle couleur pourpre.
Tu es piégé, tu n’arrives plus à respirer, tu t’étouffes. À gauche, un groupe de métaleux te barre la route. À droite, ce sont de jeunes premières années, hystériques de se trouver enfin là. Derrière, tu jurerais qu’une équipe de rugby est entassée. Et devant toi, tu te perdrais presque dans les pogos. Tu ne rêves pas, tu es bien à Balélec. Tu risques de ne plus jamais en sortir.
Elle est minuscule et jamais tu ne t’en serais douté, mais la douleur provoquée par cette infime parcelle crayeuse, quand elle s’introduit en dessous de tes paupières, surpasse tes pires cauchemars. De plus, il est tellement difficile de l’enlever que tu vas probablement te résoudre à la laisser en place jusqu’à ce qu’elle s’évacue d’elle-même, t’infligeant au passage des heures de souffrance.
Il n’est que 11h et pourtant, une épaisse fumée émane déjà des locaux de chimie. Plusieurs personnes courent à l’extérieur, couvertes de pustules et de cendres. La rumeur dit qu’un des assistants aurait malencontreusement renversé quelques gouttes de coca dans une solution basique, provoquant une explosion, suivie d’un début d’incendie. S’il te fallait un argument de plus pour juger que travailler en tant que scientifique était nettement trop risqué pour toi, le voilà.
Tu ne rêves pas. Ton ami, ton compagnon, que dis-je, ton plus fidèle allié, peut te trahir ! Demain, tu feras plus attention au gobelet que l’on te tendra. Il est peut-être empli d’un délicieux breuvage, mais, si le verre vient à céder, la boisson te brûlera sans aucun égard pour ton amour inconditionnel à son sujet.
Normalement, elle n’essaye de te faire du mal qu’avec la perspective inquiétante du diabète et de l’obésité. Mais aujourd’hui, elle a décidé de passer à un niveau supérieur. Ta cannette se bloque au milieu des rayons. Agacé, tu lances un coup de pied sur le bas de la machine et tu la vois vaciller. Avec horreur, tu la sens plonger sur toi et tu arrives à t’écarter à la dernière seconde. Mais ton sac, qui contient maintenant les débris de ton valeureux ordinateur portable, n’a pas survécu.
Ne sous-estime pas ta chère professeur de philosophie, oui, celle qui a tout l’air d’avoir récemment fêté son septantième anniversaire avec des biscuits maison, entourée de ses petits enfants. En tant que dépositaires du savoir ancestral, ces gens subissent une pression constante pour que leurs élèves aient de meilleurs résultats, gaspillent moins de photocopies et deviennent des génies susceptibles d’être cités dans Sciences Magazine ou Voici. Ce n’est pas avec ta énième fausse excuse que tu arriveras à les gruger. Tu risques fortement de te retrouver bloqué dans un couloir sombre, une équerre sous la gorge, avec un maître titulaire qui te grave les dates de rendu du travail semestriel au stylo indélébile noir sur l’avant-bras.
Il n’est pas forcément courant d’avoir une route traversant le campus, mais c’est pourtant le cas à Lausanne, Genève, Neuchâtel et j’en passe. Tu pourrais donc sortir joyeusement de ta journée de cours en fi n d’après-midi, soulagé d’échapper enfin à tes exercices de statistiques, pour finir par te retrouver entre les roues de la camionnette qui amenait les nouveaux manuels de droit. Et cette possibilité n’est qu’augmentée sur le campus de l’EPFL grâce à leur nouvelle flotte de véhicules auto guidés qui sont «censés » détecter les présences humaines (pour mieux les écraser probablement) !
Et oui, nous avons gardé le pire pour la fi n. Plusieurs dizaines de blessés arrivent chaque jour dans les hôpitaux, brandissant fiévreusement leur doigt ensanglanté devant eux. Ils espèrent que d’autres leur laisseront une place aux urgences, car la douleur est intenable. De plus, un rapide calcul mental nous a fait déterminer que nous touchons en moyenne une soixantaine de feuilles par jour à l’université. Cela augmente d’autant les chances d’être blessé !