Le phénomène qui consiste à s'approprier le travail et la réflexion d'autrui n'est pas nouveau, de même qu'il touche à tous les niveaux, l'ensemble des disciplines et des établissements académiques. Toutefois, la récente révolution technologique que représente le web lui a fait prendre une ampleur jamais connue jusqu'à présent, laissant présager l'extinction prochaine des authentiques auteurs. Quelles sont donc les causes et les motivations de cette dérive et comment le monde universitaire vit-il avec ce fléau des temps modernes? Plongée dans l'immoralité et la négligence académique.
Selon la commission Ethique-Plagiat de l'Université de Genève (UNIGE), le plagiat se révèle symptomatique des nouvelles tensions qui sont apparues dans le monde estudiantin. Entre l'augmentation croissante des contraintes de productivité et la condensation du temps d'apprentissage dues aux réformes universitaires, les étudiants se sont lentement mués en des opportunistes.
Le meilleur rapport entre le temps consacré aux travaux et la note visée est devenu l'objectif premier de ces nouveaux experts-comptables. Le diplôme étant considéré comme une marchandise qu'il s'agit d'acquérir au meilleur coût. Cette nouvelle mentalité orientée vers la facilité est directement liée à l'évolution technologique qui voit la toile se substituer aux bibliothèques. L'accès instantané par un simple clic à une pléthore de textes et de données contribue à parfaire les occasions - pour les étudiants de la génération internet - de devenir des larrons.
Le rapport de 2008 rendu par la dite commission voit dans ce nouveau contexte un profond bouleversement dans la manière de concevoir le développement du savoir. Pour la responsable du rapport et professeure à l'UNIGE, Michelle Bergadàa, «il est inhérent à chaque nouvelle invention [telle que le web], qu'elle s'accompagne de magnifiques choses tout comme de perversions». La traditionnelle logique académique qui privilégiait la production d'une connaissance à haute valeur ajoutée s'est faite remplacer par une vision des études qui repose sur la consommation productiviste rapide de l'information. Ceci au détriment de l'authenticité du savoir et de l'acquisition réelle des connaissances.
La copie servile d'aujourd'hui se retrouve dès lors bien loin de «l'imitation créatrice» qui a longtemps accompagné le développement des arts et des sciences. «Certains étudiants, remarque Michelle Bergadàa, ont tendance à vouloir aller trop vite, ils bricolent leurs travaux comme s'ils faisaient du Lego, une pièce par ci, une pièce par là, tout en oubliant que chaque nouvelle année universitaire est conçue pour leur permettre d'évoluer et d'apprendre à maîtriser des situations complexes.»
Mais le plagiat n'est pas uniquement la conséquence d'une course à la performance. Le manque de rigueur dans les méthodes de travail des étudiants participe aussi pleinement à l'explosion des cas de fraude dans les travaux écrits. Dans ce cadre, c'est moins une pure volonté de tricherie qu'une méconnaissance de l'art de la citation qui est mise en cause. En effet, la pratique du copier-coller - arme de base de l'étudiant moderne - est pernicieuse car la grande majorité des étudiants ne fait pas la distinction entre le travail de recherche et le travail de rédaction. Cette confusion entre la citation et la paraphrase est particulièrement présente chez les étudiants de première année.
Ce constat a poussé les établissements universitaires à mettre en place des actions de prévention. À l'image de l'Université de Lausanne (UNIL) qui depuis quelques années fait signer des chartes de déontologie concernant l'usage et la citation des sources. Cette formation pédagogique qui passe aussi par le dialogue n'a toutefois pas réussi à endiguer le phénomène de fraude généralisée. La prévention est importante mais pour Michelle Bergadàa, il ne faut pas être dupe: «le plagiat involontaire n'existe pas. Tout le monde sait qu'il convient de citer ses sources et de rendre des travaux personnels». Reste qu'il demeurera toujours une zone grise que l'écrivain Jean Giraudoux considère comme «la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d'ailleurs est inconnue».
Si les étudiants avertis persistent et signent dans les emprunts frauduleux, leurs motivations et le sens qu'ils donnent à leurs actes divergent toujours selon les cas. Michelle Bergadàa observe une diversité de profils chez les cyber-plagieurs. Il y a d'abord les «bricoleurs» qui usent du copier-coller ponctuellement et afin de gagner du temps. Leur méthode consiste à la récupération et à la déconstruction astucieuse de travaux qu'ils rassemblent par la suite au sein d'un patchwork original. Le résultat souvent bien ficelé est difficile à repérer et leur laisse penser que bien qu'ils plagient, leur création demeure légitime. Les «manipulateurs» quant à eux copient-collent sans enjolivures et de manière fréquente. Au contraire des «bricoleurs», ces plagieurs n'ont pas intégré les normes et les valeurs institutionnelles mais élaborent leur propre éthique qu'ils estiment justifiée. Du fait de cette conception flexible de la morale, ils n'éprouvent aucun remord à usurper leurs diplômes.
Finalement, les «fraudeurs» sont des étudiants qui, conscients de ces failles, profitent de celles-ci tout en s'en vantant. Leur vision d'un système gangrené les déresponsabilise de leurs errements tout en en imputant la faute à l'incompétence des correcteurs.
Cette tricherie caractérisée déchaîne les passions en même temps qu'elle soulève la question de l'équité dans les évaluations. Alors que les fraudeurs affirment que c'est une affaire de nécessité plutôt que de moralité, des étudiants font part de leur frustration relative à l'injustice de la situation. En effet, beaucoup n'acceptent pas que des plagieurs revendiqués réussissent mieux qu'eux malgré un faible investissement. En cause, le principe de méritocratie qui veut que la notation d'un travail corresponde au mérite individuel des étudiants. Ainsi, l'usurpation de reconnaissance qu'implique le plagiat met à mal les critères de validité et de fiabilité de la notation académique. Par prolongement, les établissements craignent pour la réputation des diplômes dispensés puisque ceux-ci tendent à ne plus être représentatifs du savoir acquis.
Face à cette situation, les contrôles s'organisent à différents niveaux, accompagnés de lourdes répressions. Les maîtres mots: «prévenir, informer, punir». Sur la toile, la traque au plagiat prend la forme de sites dédiés à ceux «qui refusent de fermer les yeux sur la fraude». Néanmoins, Michelle Bergadàa, auteure d'un dit site, se défend de mener une chasse aux sorcières: «je ne chasse pas l'homme, mais je cherche à analyser un phénomène social qui est une fraude au système et donc qui affecte les fondements du droit».
Dans les universités, les enquêtes sur le plagiat tendent à se multiplier et sensibilisent les derniers professeurs naïfs ou laxistes sur l'importance du phénomène. Les thèmes de dissertations sont pensés pour rendre la tricherie toujours plus difficile et repérable. De même, les départements font l'acquisition de programmes de détection du plagiat. Ces derniers confrontent les travaux leur étant soumis à une gigantesque base de données dans le but de rechercher des similarités. Si l'efficacité de ces systèmes est concluante, l'effet dissuasif qu'ils impliquent est tout aussi important. Toutefois, rien ne remplace la lecture attentive des travaux qui, s'ils sont plagiés, souffrent souvent d'incohérences stylistiques et orthographiques.
Lors de la découverte de fraudes, les sanctions sont sans pitié. Alors, que les plagiats au niveau professoral sont encore trop souvent soumis à la loi du silence, les étudiants payent le prix fort pour leur tricherie. Du simple blâme à la suspension, certains cas vont jusqu'à l'exclusion pure et simple du fautif avec la possibilité d'une poursuite pénale. Cependant, nous dit Maître Etienne Laffely, président du conseil de discipline de l'UNIL, «les exclusions restent des exceptions et s'adressent à des étudiants au long parcours universitaire même si le conseil fait preuve de plus de sévérité depuis l'introduction et la signature des chartes de déontologie.» Étonnement, les étudiants, même plagieurs, se montrent plus fermes et conservateurs que les professeurs lorsqu'il s'agit de réprimander les cas d'abus avérés. Cette schizophrénie apparente est compréhensible à l'aune de la logique du tricheur qui pour profiter au mieux du système, se doit d'être une exception.
Cette machinerie de guerre contre le plagiat est à la mesure du marché des armes de triche qui s'est développé sur le web. En plus des basiques moteurs de recherche, une multitude de sites vendent à prix modiques l'acquisition de travaux recoupant une infinité de sujets académiques. Les plus paresseux ont encore la possibilité de déléguer l'ensemble de la rédaction à des «nègres» qui garantiront, contre une bonne rémunération, un rendu original et non plagié. La question est posée de savoir qui gagnera la guerre en fin de compte.
Le plagiat académique est un phénomène disparate avec une constance: on ne rend jamais à César ce qui lui appartient.Survol de ses quatre principales formes.