A l'heure de la société de l'image, comme on l'entend souvent, où l'apparence fait office de marqueur social de premier ordre, la mode vestimentaire occupe logiquement une place importante dans les préoccupations de chacun. Mais parallèlement aux grandes marques de la mode qui inondent le marché de leurs produits tendances, souvent faits par de petites mains asiatiques, subsiste une création vestimentaire locale d'excellent niveau. Line, propriétaire de deux boutiques Flying A, à Genève, n'a ainsi pas hésité à miser sur de jeunes stylistes suisses, dès le lancement de son entreprise il y a 7 ans. «Je me bats pour avoir des vêtements uniques, avant-gardistes. Ça me semble logique de travailler avec de jeunes créateurs d'ici. D'autant que le niveau, notamment des graphistes, est excellent dans notre pays.»
Difficile d'en vivre
Toujours au courant de ce qui est à la pointe dans les boutiques de Zurich, Londres ou Berlin, Line se défend de tout protectionnisme: «dans mon shop, il y a autant de jeunes créateurs que de grandes marques représentées par des vêtements de séries limitées, plus tendances. Si le niveau des stylistes suisses n'était pas bon, cela se verrait tout de suite, et les clients n'achèteraient que les grands noms. Mon métier est de vendre des habits, rien d'autre». Mais malgré l'excellent niveau créatif et technique des jeunes stylistes suisses, il demeure très difficile d'en vivre. Parmi la dizaine d'entre eux représentés par Flying A, un seul gagne sa vie grâce à ses vêtements. Les autres sont encore aux études ou exercent un métier complémentaire. Parmi eux Mi-yun, 26 ans, qui a terminé une licence en Histoire de l'art à l'Université de Genève. Coréenne d'origine, ses créations font penser à des vêtements asiatiques classiques confrontés à la mode occidentale actuelle, pour un résultat inédit et élégant. «Je n'ai pas de formation de styliste. J'ai simplement toujours été attirée par la création de vêtements». Mais, alors qu'elle assure l'ensemble des étapes de création de ses habits, Mi-yun regrette seulement de ne pas avoir un meilleur bagage technique. «L'envie de créer, on l'a naturellement. De ce point de vue une école ne m'aurait pas servi à grand chose, elle m'aurait au contraire cadrée et limitée». Après deux collections entièrement créées par ses soins, des concours et des parutions en Suisse et à l'étranger, Mi-yun est encore loin de vivre de son travail. «Être présent dans une boutique me permet avant tout de voir la réaction du public, ce qui plaît. Mais à l'heure actuelle, mes vêtements sont loin d'être rentables: il me faut une journée pour créer un vêtement dès le moment où il est dessiné». Selon elle, une bonne option serait la vente de ses créations sur Internet, en l'absence d'intermédiaires. Quant à se faire connaître dans les salons et les foires spécialisés, l'investissement pour un jeune styliste est trop important, au vu des retombées.
Toujours créer du nouveau
Gabriel, 27 ans, son diplôme des Beaux-arts de Genève en poche, a lancé sa marque Musicwear, qui ne propose que des T-shirts pour l'instant. Contrairement à Mi-yun, il délègue la production en Inde, et ne fabrique luimême que l'emballage: une fourre de disque vinyl. Décidé à vivre de sa passion, il a placé ses vêtements dans de nombreuses boutiques et magasins de disques. «Ma première collection est sortie en novembre 2005. J'ai fait l'erreur de commander trop de T-shirts arborant le même logo. Pour le public, il faut toujours du nouveau. Quelques mois après sa sortie, un vêtement semble déjà vieux». Même si selon la patronne de Flying A, les T-shirts de Gabriel se vendent bien dans son magasin, le marché oblige constamment à se renouveler. Pour elle comme pour les stylistes, seul un travail acharné et surtout constant permet de fidéliser une clientèle. Message bien reçu par Gabriel et Mi-Yun, qui confessent déjà travailler sur de nouveaux modèles. A suivre donc. Enfin, si après ces quelques lignes, certains d'entre vous étaient encore tentés de se lancer dans le stylisme, les gens de la branche conseillent d'adopter dès le début une attitude «sérieuse et professionnelle». Donc pas de visite sympa-bonnard à la boutique du coin pour présenter ses vêtements à l'improviste. Line confirme: «quand les gens viennent sans rendez- vous, pour nous montrer leurs vêtements, souvent on n'a pas le temps. Ni la disponibilité. On est là pour vendre, pas pour acheter». Il est donc préférable de fixer un rendez-vous, et de venir avec une présentation de son travail (photos, articles de presse, références). De plus, comme souvent dans les démarches de ce type, si ça ne marche la première fois, n'hésitez pas à insister et à revenir avec d'autres modèles.