Le 17 janvier dernier, l'OFS faisait connaître les premiers résultats de son enquête sobrement intitulée: «Situation sociale des étudiant-e-s 2005». Un travail très attendu par des centaines de personnes, pour des centaines de raisons différentes...
Cette enquête, c'est d'abord une victoire pour les associations d'étudiants, après 10 ans de combat acharné. Mais c'est aussi l'occasion pour les grands responsables nationaux de l'éducation de reprendre la notion d'une réalité estudiantine qui leur avait complètement échappé (pas besoin de chercher une quelconque orientation politique dans ce terme, ils l'avouent eux-mêmes...) depuis les réformes qui bousculent le monde des études depuis plus d'une décennie. Mais ce travail, c'est aussi l'espoir chez tous les étudiants, quelle que soit leur siuation sociale, de voir enfin une administration qui puisse répondre à de vrais besoins. Il était en effet temps que l'image de l'étudiant privilégié, nourri, logé et blanchi par papa et maman disparaisse.
Méthode...
Pour mener à bien cette recherche, l'OFS a recouru à un questionnaire en ligne. Sur les 131'977 étudiants universitaires et HES de Suisse (89'057 dans les universités et écoles polytechniques, et 42'920 dans les hautes écoles spécialisées et pédagogiques), l'Office a retenu un échantillon de 10'005 étudiants universitaires et 10'003 étudiants HES.
L'enquête en elle-même s'est déroulée durant le semestre d'été 2005. Les étudiants retenus dans l'échantillon, puis tirés au sort, ont reçu un envoi postal qui contenait les codes d'accès au questionnaire en ligne. Ce modus operandi a ainsi connu un taux de réponse de 64%, résultat considéré comme très bon par l'OFS. «Cela témoigne selon nous de l'intérêt des étudiants pour une telle enquête», explique Laurence Boegli, responsable de l'enquête au sein de l'Office. En effet, nombreux sont les étudiants qui ont suivi de près l'annonce des résultats et qui sont convaincus de l'utilité d'une telle enquête.
Cet intérêt est également partagé par les hautes écoles, qui sont nombreuses à contacter l'OFS afin d'obtenir les chiffres concernant leurs étudiants. «C'était notre volonté: disposer de données valables non seulement pour la Suisse mais également pour une haute école, afin que les institutions qui le désirent puissent obtenir des informations plus précises sur leurs étudiants», confirme-t-elle.
Oui, mais bologne ?
Quelques dimensions d'analyses ne pourront toutefois pas être retenues. La principale est sans aucun doute les cursus de baccalauréat et maîtrise académique (Bachelor/Master). En effet, l'introduction de ces nouveaux cursus d'études est menée à des rythmes différents selon les hautes écoles et les domaines d'études. Ainsi, lors du relevé, à savoir en avril/mai 2005, le cursus Bachelor/Master n'était introduit que dans certains domaines d'études universitaires et était encore totalement absent des HES, qui l'introduisent à la rentrée d'octobre 2005. Le faible nombre d'étudiants inscrits en baccalauréat ou en maîtrise académique, ainsi que leur répartition inégale entre les domaines d'études et les hautes écoles empêchent la réalisation d'analyses significatives.
Il sera nécessaire pour cela d'attendre encore quelques années afin que ces nouvelles filières d'études soient généralisées. C'est seulement à ce moment-là que des analyses détaillées pourront être menées au niveau baccalauréat et maîtrise.
Ces changements ne remettent pas en cause la pertinence de l'enquête de l'OFS aux yeux de Laurence Boegli: «Il faut profiter de cette période de changements. Si l'on avait attendu que la réforme de Bologne soit achevée, nous n'aurions pas pu mener cette enquête avant plusieurs années. De plus, l'enquête 2005 donne un tableau de la situation au début du processus et permettra, si elle est reconduite, d'observer les effets des réformes de Bologne...»
En ce qui concerne les résultats, la grosse info sur laquelle quasiment toute la presse s'est mise d'accord le jour de la conférence, c'est que la situation n'est pas bonne, mais alors pas bonne du tout. Même si le soutien des parents constitue encore le principal pilier du budget des étudiants, les trois quarts d'entre eux ont en outre un travail rémunéré, alors que les bourses ou prêts ne viennent que loin derrière. Le gros problème, c'est que ces petits boulots empiètent sur les études, et n'ont pas de liens avec ces dernières pour près de la moitié des étudiants (42% dans les HES et 56% pour les universités).
Certes la majorité des acteurs du monde estudiantin s'attendaient à ce que la situation ne soit pas rose, mais la surprise fut tout de même de taille. «C'est encore bien pire que ce que l'on imaginait !» s'inquiète Pierre-Antoine Bonvin, co-directeur de l'Union des étudiants de Suisse (UNES). «Ces chiffres montrent que les besoins des étudiants sont énormes. Et les bourses ne couvrent qu'une toute petite partie des manques. C'est un signal fort.» |
Du côté de la coupole fédérale, le constat est le même. Charles Kleiber, Secrétaire d'Etat à l'éducation et à la recherche, tient les mêmes propos que l'UNES: «Mon intuition était que la situation sociale des étudiants s'aggravait, et cela s'est confirmé». Et d'ajouter: «La Réforme de Bologne introduit une plus grande densité d'études qui est incompatible avec la multiplication des petits boulots. Il faut créer des conditions plus favorables aux études par l'adaptation des bourses et des prêts». Quant l'Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT), sa présidente Ursula Renold constate également les dégâts: «Nous sommes consternés par les maigres progrès enregistrés dans le domaine de l'égalité des chances au sein des hautes écoles universitaires.» |
Mais elle retire néanmoins un point positif des premiers résultats de l'enquête: «Les HES ont tout de même réussi à contrebalancer les chiffres de l'accès à la formation dans les hautes écoles. En effet, par rapport aux universités, les HES accueillent un nombre beaucoup plus élevé d'étudiants dont les parents ne sont pas diplômés d'une haute école.» On pourrait croire que tout le monde est du même avis... Mais c'est loin d'être le cas, notamment sur ces fameuses bourses et autres prêts. Du coup l'étudiant moyen - le principal concerné dans cette affaire - est en droit de se demander quelles mesures concrètes seront prises suite aux révélations de l'OFS. |
...et actions (?)
Sur ce point, les réponses se font plus vagues. Du côté de l'UNES, même si l'on s'accorde à dire que les résultats de l'enquête représentent une arme de poids, on ne s'attend pas à une action de force dans les temps qui viennent.
La principale raison réside dans le fait qu'une nouvelle loi est actuellement en discussion: «Nous sommes effectivement en train de faire signer une pétition contre le système des prêts d'études, en vue de la prochaine loi fédérale, qui est encore au tout début de la procédure. Mais en ce qui concerne plus particulièrement l'enquête de l'OFS, nous n'avons pas encore de stratégie définie. C'est notre commission sociale qui doit choisir notre ligne de conduite.»
Il peut paraître étonnant qu'après avoir attendu cette enquête pendant plusieurs années, les représentants de la communauté estudiantine n'aient pas profité de l'impact médiatique pour faire entendre leur voix. Pierre-Antoine Bonvin s'explique: «Le gros problème, c'est que chaque canton règle cela avec ses petites finesses personnelles. Il y a bien eu un projet d'harmonisation, mais il est passé au placard. Du coup, on n'est pas dans la situation idéale pour espérer des changements rapides».
Même son de cloche de la part du secrétariat de Charles Kleiber, qui donne des échéances pour le moins lointaines: «La réforme est en cours. Ce sujet sera un point principal lors de la Conférence des ministres à Londres, en 2007». «Un changement radical de direction ne s'impose pas» confirme finalement Ursula Renold. «Nous sommes contents que la publication de l'étude intervienne maintenant, car les résultats influenceront les réformes en cours.»
Rapport final fin 2006
Pour le moment, les chiffres de l'OFS sont donc comme un pain tout juste retiré du four: on a l'odeur, mais on est encore loin d'en connaître le goût... Il ne faut pas oublier qu'il s'agit uniquement des premiers résultats.Et la suite de l'étude promet de faire encore couler pas mal d'encre.
La publication du rapport principal est prévue pour la fin du second semestre 2006. Certains angles d'observation seront ajoutés, telles qu'une observation selon les régions linguistiques, les hautes écoles ou une analyse systématique par domaine d'études. Ce deuxième rapport traitera également de nouveaux thèmes telles que la mobilité ou les conditions de vie.
De plus, il cherchera à mettre en évidence des relations de causalité, à analyser des phénomènes et à mieux comprendre les dynamiques dans lesquelles s'inscrivent les nombreux étudiants des hautes écoles.
«Nous pourrons ainsi voir en détails ce que nous n'avons fait que survoler dans ces premiers résultats», nous explique Laurence Boegli. «Nous allons chercher des facteurs explicatifs aux phénomènes observés, par exemple de savoir si un étudiant de telle région choisit ses études en fonction de la proximité ou non du lieu d'études. Des comparaisons avec l'enquête de 1995 seront également faites lorsque cela sera possible.»
Quant à savoir si l'expérience sera reconduite régulièrement (comme c'est le cas chez nos voisins depuis un bout de temps déjà), on est encore dans l'incertitude. «Charles Kleiber a souligné que ce genre d'enquête avait besoin d'être reconduite, mais pour l'instant rien n'a véritablement encore été décidé» répond Laurence Boegli. «Nous souhaiterions néanmoins pouvoir reconduire l'enquête en 2009, de manière à rejoindre l'enquête européenne qui se fait tous les trois ans.»
Par rapport à l'enquête de 1995, les HES constituent le plus gros changement dans le paysage des hautes écoles suisses. «Il y a 10 ans, les HES n'existaient pas. C'était 90 écoles éparpillées dans le pays», rappelle Laurence Boegli. «Nous avons par conséquent eu quelques problèmes en ce qui concerne la représentations des HES aujourd'hui réunies dans le processus de réflexion pour cette enquête. Contrairement à l'Université, les HES n'ont pas encore de tradition de représentation des intérêts estudiantins.» Du côté de l'Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT), on se réjouit de pouvoir enfin sortir les HES de l' «ombre statistique», à l'image de sa présidente Ursula Renold. «Nous allons, pour la première fois, disposer d'indications sur «nos» étudiants et de possibilités de comparaisons entre les types de hautes écoles».
A noter encore que l'UNES a récemment décidé d'incorporer les étudiants HES en son sein. «La HES de Berne ainsi que celle de Winterthour nous ont déjà rejoints. En ce qui concerne la HES-SO, il faudra probablement attendre encore plusieurs années. Pour le moment, on ne trouve que plusieurs petites entités. Mais le projet est en route.» Certes, l'intégration des étudiants de la HES risque de poser pas mal de problèmes à l'UNES, de par les natures fondamentalement différentes des hautes écoles et des universités. Il est encore trop tôt pour se représenter clairement les modalités de cette collaboration-intégration entre les étudiants HES et l'UNES, mais il s'agit d'une preuve du besoin de représentativité des étudiants HES à l'échelle nationale.