Après le succès de la fusion réussie entre la HES-SO (Haute école spécialisée de Suisse occidentale) et la HES-S2 (Haute école spécialisée santé-social) en 2004, les hautes écoles spécialisées romandes ne sont pas au bout de leur peine. Entre les échéances des accords de Bologne et les réflexions du «futur paysage suisse des hautes écoles» planifié pour 2008, nombreux sont les défis qui attendent Marc-André Berclaz, Directeur de la HES-SO, et son équipe. Le premier de ces défis étant de ne pas se retrouver victime du succès.
Depuis leur naissance en 1998, les hautes écoles spécialisées n'ont jamais cessé de voir le nombre de leurs étudiants augmenter: «Si l'on prend uniquement le cas de la HES-SO, explique Marc-André Berclaz, nous comptabilisions 4'600 étudiants en 1998, contre 12'000 aujourd'hui… Ça situe la problématique! Les HES, c'est plus de 50'000 étudiants en Suisse, contre 90'000 pour les universités. Cette augmentation peut s'expliquer notamment par le ralliement progressif d'établissements sous la bannière de la HES-SO. Et comme le financement se fait au nombre d'étudiants, nos budgets ont augmenté. On n'est plus dans une configuration de petit poucet face aux universités. Il y a donc une réflexion à avoir aujourd'hui sur la façon de répartir les fonds.»
Mais cette importance nouvelle implique de profondes restructurations, ainsi qu'un repositionnement du dialogue avec les universités. C'est notamment pour cette raison que des postes de responsables de domaines à plein temps seront créés dès 2006, dans le but de coordonner l'ensemble des filières pour un secteur donné, à la manière d'une faculté universitaire.
Simplifier et réunir
Mais avant d'entamer la discussion avec les responsables académiques, la priorité pour Marc-André Berclaz réside dans la construction de la HES-SO «nouvelle version». L'objectif est clair, il faut simplifier...
Et cette révision de la structure s'accompagne d'une recherche de fusionnement des établissements, recherche difficile car toujours réalisée en tenant compte de ce que les HES retirent de leur proximité avec les régions (voir encadré): «Par exemple pour le canton de Vaud, la HEG de Lausanne, l'Ecole d'ingénieurs du soir de Lausanne et l'Ecole d'ingénieurs de l'industrie graphique déménagent à Yverdon-les-Bains pour créer un site unique. Second exemple, les écoles privées vaudoises de soins infirmiers Bois-Cerf et la Source ont fusionné à Lausanne. En ce qui concerne le canton de Fribourg, une réflexion est en cours pour transférer la HES-TS de Givisiez sur le plateau de Pérolles, et réunir par conséquent la totalité des HES du canton sur un seul site. Le canton de Genève conçoit également quelques propositions pour réunir ses sites, tandis qu'en Valais, on a relocalisé plusieurs écoles sur Sierre… Ça veut dire que progressivement, les écoles historiques de la HES-SO se concentrent dans la plupart des cantons. Sans oublier l'arrivée des nouveaux, notamment les conservatoires avec les nouvelles filières musicales.»
Pas encore de dialogue avec l'uni
Malgré ce qu'il est coutumier d'entendre dans les couloirs, la HES ne se pose pas en concurrence de l'Université: «Je comprends les inquiétudes de certains. Mais il faut quand même mettre les choses au clair. A ma connaissance, nous ne prenons pas d'étudiants à l'Université. La communication est encore à créer, ne serait-ce justement que pour éviter l'existence de doublons dans les filières offertes, confirme Marc-André Berclaz. Avant, ce n'était pas un problème, mais avec l'arrivée des cursus de masters dans nos filières, on sent la nécessité d'entrer en communication étroite avec les universités. Il y a un besoin de remise en question de la pertinence du rattachement de certains cursus à l'Université, ou à la HES.»
Dans cette optique de renouveau du dialogue entre les deux entités de l'éducation supérieure, on peut imaginer que certaines universités transfèrent carrément certaines de leurs filières aux HES, comme ce fut le cas en Suisse allemande quand l'EPFZ «abandonna» la chaire d'ingénierie du bois: «Nous ne sommes pas demandeurs de telles situations, mais la question doit se poser», confirme Marc-André Berclaz.
Au-delà du faux débat de la concurrence, il existe des exemples qui montrent qu'une collaboration est possible en Suisse romande: «En ce qui concerne les Sciences de la vie, nous travaillons en parfaite complémentarité avec l'EPFL, en formant les ingénieurs d'exploitation, explique le directeur de la HES-SO. Il n'y a pas de concurrence, car notre formation se situe en aval de ce que produit l'Ecole polytechnique.»
On trouve encore toute une série de filières qui sont à la limite de la mince frontière qui sépare le savoir académique et le savoir pratique – les thérapeutes en psychomotricité, par exemple, qui étaient auparavant une filière universitaire, avant de passer dans le giron des HES. De nombreuses réflexions ont cours au sujet des filières du domaine de la construction ou de certaines filières des Sciences économiques.
Beaucoup de projets «frustrés»
«Les HES ont l'habitude d'être pilotées durement par la Confédération à ce sujet, elles sont sûrement plus dociles (sourire) ironise Marc-André Berclaz. On nous le reproche parfois, mais pour nous la vraie difficulté c'est la croissance et l'arrivée de nouveaux domaines.»
Des projets de cursus issus de la collaboration HES-Uni ont également été tentés, mais tous ont été refusés, sauf un: le Master de cinéma, fruit de la coopération entre l'Ecole cantonale d'art de Lausanne, la Hochschule für Gestaltung und Kunst de Zurich, la Cinémathèque suisse et la Schauspiel Akademie de même que l'ESBA à Genève.Cette décision navre encore aujourd'hui Marc-André Berclaz: «On avait d'excellents projets en chimie, en informatique de gestion ou en nanotechnologie, tous ont été refusés pour des raisons financières par la Conférence universitaire suisse (CUS). Pour nous, les promesses de Berne de parrainer de tels projets ne se sont pas concrétisées. Les moyens sont beaucoup trop faibles par rapport à la demande, regrette le directeur. Ce n'est pas ce projet-là (n.d.l.r. le Master de cinéma) qui prouvera la capacité de collaboration entre les unis et les HES. Cela ne nous empêche pas d'en monter de nouveaux. Nous sommes notamment en discussion avec Lausanne et Genève pour un master de soins dans le domaine de la santé en collaboration avec les HUG et le CHUV. Je peux imaginer d'autres exemples, mais cela va se faire petit à petit. L'Université c'est une institution vieille de plusieurs siècles qui nous regarde avec une certaine prudence (sourire). Les HES ont tout à prouver !»
Bachelor discredité
Mais la plus grosse crainte de Marc-André Berclaz et des HES est une dévalorisation du Bachelor au profit du Master: «L'Université ne professionnalise plus au niveau du diplôme. Elle l'a dit. Cela pose un risque réel de dévalorisation du Bachelor. L'essence de Bologne consiste à dire que le Bachelor vise une simplification en vue de motiver la mobilité des étudiants entre les pays. Le réduire à un titre «en-passant» priverait le Bachelor de toute valeur. C'est très problématique pour nous. Si de notre côté, on n'arrive pas à garantir l'utilité du Bachelor, tout le monde devra faire un master pour accéder au marché du travail. Les collectivités publiques ne pourront pas financer une telle évolution. Et ce n'est pas le but: on a créé les HES pour avoir des gens qualifiés qui peuvent rapidement entrer sur le marché du travail.»
Certes, les HES fourniront des cursus Master, mais avec des objectifs précis. «La première raison de faire un master HES est de pouvoir continuer de présenter des activités de recherche crédibles, et d'améliorer l'apport à la société. L'Université dispose des doctorants dans ce domaine, pas nous. Nous devons payer des professeurs ou des ingénieurs. Du coup, nos fonds ne sont pas suffisants. Le développement des masters changerait cela. C'est très important pour nous. La seconde serait de pouvoir former la relève. Nous exigeons minimum un master pour pouvoir enseigner dans nos écoles. Mais la vraie question viendra du marché, c'est lui qui décidera s'il a besoin d'un master. Pour ne pas «imploser», nous avons décidé de ne pas introduire le Bachelor partout en même temps», concède Marc-André Berclaz.
Seuls les domaines de l'économie et des services, ainsi que la musique, ont débuté les nouveaux cursus à la rentrée 2005. Les autres filières commenceront l'année prochaine. «Il sera donc possible de mettre en place les premiers masters vers 2008. C'est encore relativement loin, mais cela nous permet de le faire dans des conditions satisfaisantes. Mais quoi qu'il advienne, nous ne pourrons pas imaginer qu'un bachelor HES poursuive un master à l'Université ou vice-versa sans passerelle. Des filières apparaîtront, disparaîtront, fusionneront… On n'est qu'au début de l'aventure !»
39 filières, des dizaines de bâtiments: la HES-SO est très étendue sur le petit territoire romand. Mais cet éparpillement sert aussi la cause des HES, dans la mesure où elles ont besoin de cette proximité avec l'industrie locale: «C'est l'un des avantages particuliers de la HES-SO, avoue Marc-André Berclaz. Elle est répartie dans les régions, ce qui permet à une entreprise locale de trouver des ressources intéressantes et performantes qu'elle peut utiliser.»
Mais cet avantage a un revers: les HES ne peuvent pas encore se permettre de maximiser les résultats de leurs travaux: «Les hautes écoles spécialisées ont un sérieux problème de valorisation, toutes les filières n'ont pas encore une tradition de publication. Les ingénieurs produisent des appareils, les économistes produisent des rapports, mais publient peu sur le plan scientifique. D'autre part, le rythme de travail est particulièrement rapide dans la mesure où nous devons largement autofinancer nos activités de recherche, ce qui nous amène malheureusement à avoir un souci de rentabilité directe.»