Une expérience menée à l’EPFL sur des rats a permis d’observer que des comportements agressifs passaient d’une génération à l’autre, même sans aucun contact entre le géniteur et son rejeton. Plusieurs pistes pour l’expliquer sont à l’étude.
Des traumatismes vécus dans l’enfance n’expliquent pas à eux seuls de développement de la violence domestique – du moins chez les rats. Dans le cadre d’une étude menée à l’EPFL, les chercheurs du Brain Mind Institute sont parvenus à démontrer que des éléments purement biologiques jouaient un rôle crucial dans le développement de comportements agressifs. Cette étude vient d’être publiée en ligne dans la revue Translational Psychiatry (éditée par Nature).
C’est évidemment la violence domestique humaine que Carmen Sandi et son équipe ont en point de mire dans leurs recherches. «Il est toutefois inimaginable d’isoler des êtres humains de toute interaction sociale pour voir quels caractères ils développeraient», précise la chercheuse. D’où l’expérience qu’elle a montée avec des rats.
En premier lieu, des rongeurs mâles ont été exposés à plusieurs reprises dans leur jeune âge – soit autour de la puberté – à deux types de situations de stress psychologique. Ils ont ainsi été placés pour de courtes sessions dans un endroit dépourvu de cachette, ce qu’ils n’apprécient pas. Les chercheurs les ont également approchés de l’odeur caractéristique de l’un de leurs prédateurs naturels, le renard.
Devenus adultes, ces rats mis en contacts avec des femelles ont fait preuve à leur égard de comportements plus agressifs que leurs congénères n’ayant pas été stressés durant l’adolescence. Mais le plus intéressant restait à venir: «A l’instar de leur géniteur, les descendants mâles de ces rats stressés montrent eux aussi des comportements agressifs envers les femelles, reprend Carmen Sandi. Or notre protocole nous a permis d’éliminer toute «influence sociale», les couples de rats ayant été séparés avant la naissance des rejetons.»
Pour les chercheurs, cela démontre que certains traits comportementaux trouvent leur origine dans des facteurs biologiques, et pas dans des influences sociales caractérisées par exemple par l’imitation d’un modèle.
Les femelles soumises aux mâles stressés ont présenté des modifications significatives d’ordre comportemental, hormonal et neurologique. D’autres femelles, mises en relations uniquement avec des mâles agressifs de la deuxième génération – qui n’avaient donc pas été directement stressés – ont présenté exactement les mêmes caractéristiques. Ce qui prouve que des violences subies se traduisent par des dommages à long terme chez les femelles, et que ceux-ci ne sont pas uniquement psychologiques.
Des recherches complémentaires, dans la foulée de celle-ci, tenteront d’expliquer plus précisément les mécanismes à l’œuvre. Les raisons de la transmission de l’agressivité chez les mâles pourraient être d’ordre épigénétique (modifications héréditaires de l’expression de certains gènes); elles pourraient être liées à des modifications physiologiques chez la mère durant la grossesse, observées suite à leur exposition à un mâle agressif; un imperceptible déficit de soins maternels dans les premiers jours de la vie pourrait aussi jouer un rôle dans certains cas, mais l’étude en question n’a considéré que les familles où ces soins n’étaient pas différents de ceux que prodigue une mère non stressée.
Il serait évidemment hasardeux de vouloir transposer immédiatement ces résultats à l’humain. De nombreuses analogies doivent toutefois, estime Carmen Sandi, «nous inciter à réviser notre façon de considérer comme exclusivement psychologique et sociale l’origine du développement de la violence domestique.» Si les facteurs biologiques n’expliquent pas tout, ils n’en constituent pas moins un lourd héritage, susceptible de favoriser les dérives. «A partir de ces connaissances, nous pouvons travailler au développement de traitements qui seraient en mesure de bloquer l’expression de cette transmission biologique», conclut la chercheuse.