Vous êtes le président du Conseil des EPF. Quelles sont les grandes missions du Conseil?
Le Conseil des EPF est un conseil administratif. Nous recevons un contrat de prestations du Conseil Fédéral pour une durée de 4 ans. Pour faire simple, notre mission peut être présentée en 3 points. Premièrement, garantir aux EPF une identité nationale en évitant la polarisation. Nous devons donner l'image d'une organisation suisse; un rôle pas toujours facile à assurer. Nous devons ensuite assurer le multiculturalisme de la Suisse. A l'heure actuelle, c'est une richesse énorme que nous possédons - c'est même une exception au niveau international! Nous devons la préserver et la valoriser. La troisième mission consiste à utiliser les synergies dans les domaines, comme par exemple dans le cadre du programme SLS (Source de Lumière Suisse).
Vous n'êtes donc pas l'arbitre du match Lausanne-Zürich?
Non. Mais en fonction de l'actualité, on pourrait confondre rivalité et compétition entre les 2 écoles!
Les EPF squattent régulièrement les meilleures places dans les comparatifs des grandes écoles : est-ce une nécessité?
Oui. Il est vrai que les EPF rivalisent avec de très grandes et prestigieuses écoles, telles que le MIT, Standford, Harvard ou Oxford. Il ne faut pas non plus oublier les institutions chinoises ou indiennes qui arrivent très vite et très fort. Nous devons rester parmi les meilleurs ; ce challenge représente un véritable moteur pour l'innovation et l'éducation. Et combien de temps encore pourrons-nous concurrencer des écoles aux budgets beaucoup plus importants? Le financement est un réel problème. Pour la dernière période, nous avons reçu une augmentation de 7% de notre budget. Il faut s'en rendre compte, ça ne couvre même pas l'inflation. Il nous faut trouver d'autres sources de financement !
Par le privé?
Clairement, mais pas uniquement. On pourrait aussi imaginer des prêts d'institutions à des conditions avantageuses. A l'heure actuelle, le financement du secteur privé représente 23% du budget total; je pense qu'on devra se situer à terme dans les 33%, en y englobant les donations. Beaucoup d'universités, telles que Bâle ou St-Gall, ont déjà recours à ce mode de financement. Le financement par le monde privé n'est-il pas dangereux? Dans certaines écoles, on est déjà en train de peindre le diable sur la muraille! C'est un mauvais raisonnement. Ce schéma ne s'applique pas si on recherche l'excellence: si vous êtes bons, on propose de vous financer, vous pouvez donc choisir et vous n'entrez pas dans une spirale de dépendance vis-à-vis du privé! Et ce qui est primordial pour nous est que les EPF ne doivent en tout cas pas se gêner et valoriser les synergies.
Les EPF bénéficient-elles d'un soutien politique fort?
Oui! Nous avons tissé de très bons liens, c'est indispensable. Nous avons besoin de ce support. Il faut être conscient que le marché de la recherche est devenu très compétitif. Nous nous devons d'attirer les meilleurs cerveaux: les meilleurs profs attirent les meilleurs doctorants! Il nous faut donc des relais pour obtenir du financement, car certaines recherches impliquent de fournir les infrastructures les plus à la pointe. Et n'oublions pas l'éducation: au-delà des bons chercheurs, il faut aussi de bons pédagogues! Il y a donc un travail de lobbying à assurer: il faut être présent et informer. Nous le faisons au niveau national à travers le Conseil des EPF et les différents instituts de recherche associés, et les écoles, au niveau régional. Mais ce n'est pas une tâche facile, car nous ne sommes pas les seuls à le faire et les retours sur investissements ne sont pas immédiats.
Vous êtes favorable à la sélection des meilleurs étudiants pour des études dans les EPF. Quels sont vos arguments pour y parvenir?
La question est quand faut-il choisir? Aujourd'hui la sélection s'effectue au bout d'une année avec des taux d'échec de 20 à 50% ! Vous croyez que c'est motivant ? Et pour les profs, de savoir que leur enseignement ne profitera pas à plus d'un quart de leur audience! La pression sur les étudiants est importante: les études coûtent cher, il n'est souvent pas possible d'envisager l'échec et les bourses ne peuvent pas aider tout le monde! Plusieurs systèmes sont possibles: il n'y a pas que les examens. Certaines écoles ont instauré des interviews avec les nouveaux étudiants. Ils ont la chance de rencontrer leurs professeurs : ce ne sont plus de simples numéros sur une liste de cours. Cette démarche implique une réflexion sur le choix de leurs études et sur leur avenir à long terme. L'ETHZ teste ce système pour la 3ème année consécutive et les effets positifs se font déjà ressentir! Et on peut même imaginer que ce système de sélection ne va pas forcément diminuer les effectifs. Quoi qu'il en soit, en Suisse, la pression sur les étudiants est trop importante: on leur demande trop en temps de présence. Aux Etats-Unis, un étudiant passe en moyenne 18 heures en cours, contre plus de 25 ici! Ce manque d'autonomie n'est pas stimulant.
Si vous aviez 20 ans aujourd'hui, auriez-vous opté pour une autre formation?
La réponse n'est pas facile avec 40 ans d'expérience. Sincèrement, je referais certainement la même chose. Les années académiques ont été les plus belles de ma vie.
Votre message pour les étudiants qui ont choisi la voie EPF?
Qu'ils profitent des possibilités offertes par les EPF. C'est probablement la période la plus stimulante - intellectuellement parlant - de leur vie. Qu'ils n'hésitent pas à mettre la pression sur leurs professeurs pour en avoir et en savoir encore plus!
Lors du Forum des 100 organisé en mai à l'UNIL , vous avez plaidé pour une Suisse à 2000 watts, soit une division par 3 de la consommation actuelle des Suisses. Vision réaliste ou utopiste?
100% réaliste! Sans cette vision, nous n'aurions pas recherché ni construit des moteurs fonctionnant à l'énergie renouvelable. C'est une vision à long terme, car d'ici 2050, nous devrons avoir changé de système de consommation. Le problème de ce siècle est la mobilité. C'est un besoin naturel de l'homme mais qui a évolué. Avant, pour se changer les idées, on partait faire un tour dans les Alpes. Aujourd'hui, il faut prendre l'avion pour des destinations lointaines. La question: comment satisfaire ce besoin de mobilité sans énergie fossile? Toute cette réflexion implique la recherche de nouvelles technologies et de nouvelles habitudes de consommation. |