Camden Town

Ce que je préfère à la station de métro de Camden Town, c’est l’escalier roulant, si plongeant qu’il me faut m’accrocher à la rampe pour ne pas tomber, si long qu’il me faut fixer à intervalle régulière mes pieds pour ne pas perdre le sens de l’horizontalité. Même après quatre mois à Camden, je m’étonne encore devant les pendulaires habitués de niveau 4 ou 5, qui eux, passent sans effort. Ils me font un peu penser à un mauvais film coréen, ils ne prennent même pas le temps de s’étonner devant l’affiche de la comédie musicale du Roi Lion. En un sens, je peux comprendre, non en faite, je ne comprends pas. Moi je suis au niveau 2 je dirai et je m’y plais. Niveau 1 est le touriste de base qui ne comprend pas pourquoi la Northern Line se sépare à Camden. C’est vrai, pourquoi ne pas avoir nommé deux lignes distinctement au lieu de laisser les touristes s’intriguer devant le panneau lumineux? 

L’autre chose que j’aime, c’est le flot continu de la foule qui s’échappe de la station, comme si dans les tunnels souterrains on produisait des êtres humains. J’ai beau m’imaginer que si différentes rames se suivent à relativement courtes intervalles et qu’elles prennent un temps relativement plus long à se vider de leurs passagers qui eux marchent relativement vite, on arrive à l’illusion presque parfaite d’un fleuve humain qui diverge ensuite et se disperse en courants contraires tout au long des rues rock’n’roll de Camden. 

Je m’étonnerai toujours après la déconcertante simplicité de la station de Camden du postmodernisme complet qui te frappe à la surface. Avant de valider ta Oyster Card tu dois choisir la sortie. Très loins des 5 ou 6 sorties de Westminster ou Leicester Square, le dilemme reste néanmoins présent. Soit je prends gauche je remonte Camden Road pour rentrer sagement à la maison. Ou je craque et je prends droite je longe Camden High Street et je me faufile discrètement dans le Camden market le long des Lock. A ce moment là je remonte le col de mon manteau et je slalome entre les couples grunge vivant dans le voisinage. Il y a de tout dans le marché de Camden ; des gamins affichant - plutôt ironiquement - leur T-Shirt " I (heart) London ", des touristes - français à l’habitude - qui s’efforcent de créer un dialogue avec les vendeurs des stands de nourriture chinoise, des pures londoniens qui, ayant quitté le chic South Kensington discrètement, viennent le temps d’une balade admirer la décadence. Un peu comme on rentre la tête basse dans les red-light district d’Amsterdam - en espérant ne pas y être vu. Moi je fais mon tour, sans grande conviction, cela reste du capitalisme de masse et depuis que je suis à SOAS, je suis redevenue communiste. 

Lorsque je repointe ma tête dehors je ne manque jamais de « presque mourir » sous un taxi londonien. Les voitures à Londres font parties intégrante de la ville. Ici il ne s’agit pas d’attendre du feu qu’il tourne au vert, cela, on le laisse aux français précédemment cités, et en général à tous ces idiots qui ne savent pas de quel côté regarder avant de foncer, tête baissée entre les klaxons. Le trafic, ici, est une prédation, une chasse croisée ou personne ne chasse rien d’autre que son temps et poursuit sa route sans trop se soucier des carcasses qu’il laisserait derrière lui. Mais tout cela, bien sûr, dans une relative politesse et une incroyable discipline qui caractérise nos amis les British. J’éviterai encore quelque flyers que des jeunes essoré par le flux de touriste tenteront de me refiler puis je sauterai, par flemmardise dans un 241 pour sortir pile devant Manston. Je vous ai dit que j’aimais Londres ? Et le plus beau dans tout ça, c’est qu’il n’y a au fond aucune contradiction, aucune incohérence, on pourrai vivre sa vie comme un voyage en métro, en comptant les arrêts, c’est plus rapide, plus efficace et moins dangereux.

Camden Town