Le bonheur de se perdre

Au bout de trois semaines de vie communautaire, j’ai besoin d’une pause. Travailler, manger, dormir ensemble, vingt-quatre heures sur vingt-quatre… Où sont les moments de liberté et quand s’arrête vraiment le travail? Cette existence en groupe finirait par lasser n’importe quel Occidental, je pense, alors moi d’autant plus, avec mon petit côté sauvage…

Je pars à l’aventure à l’intérieur des terres, quadrillées de champs miniatures et me dirige vers la plus haute montagne d’Okinawa, qui culmine à 528 mètres. Avec les gros nuages et la pluie, j’ai une bonne chance de savourer quelques heures de solitude complète.

Japon, nature, ciel gris, champs, canne à sucre, Okinawa, montagne, herbe

L’approche est plutôt longue. Le bus m’a lâchée sur la route principale, je peux ainsi observer de près les cultures et me lamenter d’avoir mal choisi ma saison. Il n’y a guère que la canne à  sucre qui soit prête à récolter. Je m’empare subrepticement d’un bâton que je suçote tout en marchant. Le jus sucré est agréable et me donne de l’énergie pour mon ascension. Le chemin escarpé est plutôt glissant. J’espère qu’un semblant de vue récompensera mes efforts, mais, surprise, la piste s’arrête brusquement. Il n’y a plus que la jungle autour de moi. Serait-ce par ici ? Ou par là ? Ecartant les lianes, escaladant les troncs, piétinant les fougères, je cherche en vain un marquage. Le sommet est tout proche, pourtant, mais la jungle se referme aussitôt derrière moi. Je me sens comme une fourmi dans l’herbe, entourée de part et d’autre de verdure, sans aucune ouverture. Seule une légère lumière filtre à travers l’épais feuillage. Pour finir, je renonce. En réalité, je ne suis pas très rassurée. Les Japonais, qui aiment se faire peur pour tout et n’importe quoi, m’ont mise en garde. Il y a des vipères. Et aussi des accidents. Une personne a été portée disparue en 2001. Depuis, pour certaines pistes, il faut d’ailleurs s’annoncer à la police…

Jungle, Japon, arbres, lianes, Okinawa, trace

Après avoir beaucoup tourné en rond, j’ai fini par trouver la trace de mon passage. Bien qu’un peu déçue, je m’applaudis d’avoir été raisonnable, pour une fois. Mais j’ai bien transpiré et j’ai chaud ! Attirée par le bruit de l’eau, je me dirige vers une cascade et là… Que vois-je ? Un chemin pavé et balisé ; un panneau tout neuf annonçant une heure et demi de marche jusqu’au sommet. Eh bien, il ne me reste plus qu’à monter encore une fois !

Les écriteaux marquent ma progression et encouragent les marcheurs fatigués. Encore une heure ! Courage, il te reste une demi-heure ! Plus que dix minutes ! Tu y es presque ! J’ai beau être dans un des endroits les plus sauvages du Japon, cela reste le Japon. Les promenades « officielles » sont tout aussi aménagées que partout. Pour mon moment de solitude, j’ai bien fait de me perdre. De plus, mon ascension atteint ainsi les mille mètres, ce qui, pour une Suissesse, est quand même plus digne…