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La littérature, obsolète?

Oh capitaine, mon capitaine!

Les hautes écoles ont de tout temps cherché à répondre aux attentes les plus larges par la diversification de leurs filières. Ces dernières décennies ont vu l’émergence de cursus toujours plus spécifiques et nombreux afin de faire écho aux intérêts des futurs étudiants, offrant souvent la synthèse parfaite de leurs aptitudes, passions et projets professionnels. Outre les irréductibles bacheliers en littératures rhéto-romanes, didactiques curatives des civilisations mésopotamiennes et autre biochimie clinique de l’appendice iléo-cæcal, on trouve, dans le panel universitaire, un cursus bien précis qui s’adresse à une élite particulièrement ciblée : les futurs écrivains. Une filière atypique qui vise à former la relève littéraire de demain, aiguisant sa plume au gré d’ateliers divers, de théorie linguistique et d’initiation au processus de création. Les détracteurs de ces écoles, très vite stigmatisées commerciales et uniformisantes sont fréquents. Néanmoins, le succès timide mais palpable de quelques ressortissants de ces hautes écoles vient démentir leurs accusations.

 

Apprenti écrivain, tout un programme

Si les diplômes en création littéraire francophone sont distribués au comptegoutte, ce cursus est très répandu dans la langue de Shakespeare, en particulier outre-Atlantique où près de 800 formations proposent bachelor, master et doctorat en écriture créative. Leur attraction repose sur les rêves de publication des candidats, chatouillant leurs espoirs à coup de statistiques et de promesses diffuses pour légitimer des frais d’inscription souvent exorbitants (~30’000$/année à la New School de New York). N’en demeure, les aspirants à ces programmes se bousculent à chaque semestre pour s’intégrer dans l’une ou l’autre des filières.

 

Iowa city, l’ « Athènes du Midwest »

Chef de file, l’université d’Iowa située dans l’Etat éponyme, fut la première, en 1936, à lancer ce concept d’avantgarde au sein de ses murs. Réputée aujourd’hui mondialement pour la qualité de ses workshop et la renommée de ses professeurs, elle génère un mouvement estudiantin considérable qui profite largement à l’économie locale. Iowa city, qui s’enorgueillit de compter plus de membres dans ses bibliothèques que d’habitants sur son sol, organise une centaine de manifestations littéraires par année, héberge 11 imprimeries et ne compte plus ses librairies. La ville s’est forgé une identité culturelle forte à travers les succès multiples de ses « poulains » qui nourrissent l’actualité littéraire internationale. Entre les diplômés et le corps enseignant, elle affiche depuis sa création 25 prix Pulitzer répartis sur 1200 auteurs actifs régulièrement publiés et un lauréat du prix Nobel de Littérature en la personne de Orhan Pamuk. Des grands noms qui contribuent à l’aura romanesque d’Iowa, piquant la curiosité de visiteurs toujours plus nombreux, artisans du verbe ou simples profanes qui se pressent dans la petite agglomération.

 

Le tourisme culturel

Une dynamique vertueuse sur laquelle elle a su construire une politique de gestion stable et croissante. La ville, et plus largement le Comté de Johnson qui l’héberge, reconnaissent volontiers baser l’économie indigène sur ce tourisme littéraire. Ils mentionnent un concept d’industrie créative qui génère un profit considérable alors réinvesti sur le territoire et dans les réseaux de distribution culturelle en particulier. Une optique finalement très commerciale qui pourrait refroidir les puristes, défenseurs candides des nobles Lettres, étrangères aux considérations matérielles. Néanmoins, la prospérité du fonctionnement américain interroge notre propre conception de la littérature, posant la question de sa viabilité sur le long terme dans une société en perpétuel renouveau.

 

Le poète maudit?

Si les métiers de plume semblent à priori inaltérables, force est de constater que les librairies agonisent au même rythme que les maisons d’édition périphériques, broyées dans une industrie du livre en constante ébullition. On programme les sorties littéraires sur le mode de consommation générale, rentabilisant les créneaux estivaux ou les rentrées scolaires et surfant sur les actualités géopolitiques. Les romans policiers ont envahi les étalages et se maintiennent en tête des ventes, laissant parfois poindre la couverture d’un essai philosophique porté par la télégénie de son auteur davantage que par son propos. À l’ère du e-book et des sagas à 450 millions d’exemplaires, la figure du troubadour misérable et contemplatif sent la poussière. On consomme du livre sur Internet et on fabrique des écrivains à l’université. Alors, pour les prochaines vacances, pourquoi pas un petit séjour dans l’Athènes du Midwest à défaut d’une entrée journalière à Disneyland ?