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Au cœur de la nature japonaise

Europe bis

Comme je suis au Japon pour apprendre la langue et que j’ai visité Tokyo il y a quelques années, je n’ai pas encore fait beaucoup de tourisme. Mais, une fois n’est pas coutume, je profite d’un long week-end pour une escapade à Nikko.

Cette ville se situe à une centaine de kilomètres de Tokyo et, avec Kamakura, elle est mentionnée dans tous les guides comme l’excursion à faire. Elle est connue pour ses magnifiques temples qui rivalisent avec ceux de Kyoto. Construits sur l’ordre des shoguns Tokugawa, leur magnificence témoigne de la puissance du nouveau pouvoir. Il semblerait même que, en fin stratège qu’il était, Iemitsu Tokugawa ait fait financer son projet par les grands seigneurs, les affaiblissant économiquement et éliminant ainsi des rivaux potentiels. La ville est ensuite tombée dans l’oubli puis a été redécouverte par les diplomates étrangers qui en ont fait un lieu de villégiature. Ils y venaient l’été pour échapper à la moiteur de Tokyo et parce que cela leur rappelait leur terre natale.

Marchant sur les pas de mes illustres prédécesseurs, je fuis moi aussi Tokyo. Non pas la chaleur, mais le bruit et l’agitation. Comme je déteste les lieux touristiques le week-end, je me dirige tout droit vers les montagnes. La réputation de ces lieux n’est pas usurpée. A moi aussi, cela me rappelle l’Europe, nos forêts et paysages helvétiques. Au petit matin, je prends le bus pour Yumoto, à 1’500 mètres d’altitude. La journée commence mal, on refuse de me vendre le forfait qui m’aurait permis d’économiser une somme importante sur les transports et entrées (tous deux excessivement chers). J’ai la désagréable impression de m’être fait filouter, mais tant pis, je grimpe dans le bus et c’est parti!

Attention à vous

Nous enfilons virage sur virage. Le paysage se dégage petit à petit. Nous débouchons sur un haut plateau, traversons un marécage, longeons un lac que surplombe la silhouette majestueuse du Mont Nantai. Le bus va trop vite pour apprécier le panorama à sa juste valeur et, à fortiori, pour prendre des photos. Heureusement, je vais bientôt pouvoir savourer la vue à ma guise. En effet, le programme de la journée est de redescendre à pied.

Avant de me lancer dans la marche, je me procure une carte au centre d’informations. Le Japon est ainsi fait que même dans ce petit village de montagne, il y a un centre pour visiteurs. Comme j’ai peur de m’égarer, la réceptionniste me rassure: c’est très bien indiqué. Et de s’inquiéter à son tour:

- Il gèle ce matin, faites attention. Et vous allez jusqu’à Chuzenji? Mais ce sont dix kilomètres!

- Dix kilomètres en une journée et en descente, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Je me mets en route, accompagnée par les « prenez soin de vous » de mon informatrice.

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À vos appareils

Effectivement, le sentier est plus que bien indiqué, avec un seul bémol pour les touristes illettrés en idéogrammes: les panneaux sont en japonais. C’est visiblement une destination pour autochtones, mais elle semble très courue, car le parcours et parfaitement fléché, entretenu et pourvu, à intervalles réguliers, de tables de pique-nique. D’ailleurs, les étrangers ne risquent pas non plus de se perdre, tout au plus devront-ils faire deux ou trois boucles supplémentaires s’ils ont pris la mauvaise direction, car le sentier n’en est, en fait, pas un. C’est une autoroute lattée. On marche sur une longue passerelle qui serpente à travers les arbres. Il y a de-ci de-là une deuxième voie pour les dépassements ou croisements. Au sortir de la forêt, la piste s’élargit, nous traversons le marécage sur un chemin si large qu’on pourrait y faire du vélo. Mais, d’après l’affluence actuelle, on peut supposer qu’en pleine saison, des appareils de photos sur des trépieds obstruent la moitié du passage. Il faut dire que le paysage est magnifique. Les mouchets blancs de l’herbe de la pampa se détachent sur le fond rougeâtre du marécage avec, en arrière-plan, un amphithéâtre de sommets volcaniques. L’air est pur, le ciel est bleu et le soleil brille; un paradis pour photographe…

Délice au riz

Je m’installe pour déguster un simple onigiri et une pomme. Les onigiris sont des triangles de riz fourrés, entourés d’une feuille d’algue croustillante. Pour qu’ils ne deviennent pas une infecte pâte collante, l’emballage est ingénieusement conçu: on ouvre le paquet par le haut, on retire le film intérieur séparant l’algue du riz, on fait adhérer le tout par une légère pression et nous voilà avec un plat de riz, froid, certes, mais fort commode à manger. Moi qui ne suis pas une grande amatrice de cette céréale, après plusieurs heures de marche, je l’apprécie comme un mets royal. Mon repas est fort modeste par rapport à celui de mes voisins qui ont apporté réchaud, soupe aux nouilles et même serviette de table et petit tapis pour le banc. Il n’y a jamais assez d’accessoires… Peut-être, si je reviens dans dix ans, il y a aura du désinfectant pour les mains et de quoi chauffer son repas à l’énergie du volcan!

Seule au monde

Je rentre au logis, les yeux pleins de merveilles et prête à recommencer le lendemain. Je prévois une boucle depuis l’hôtel cette fois. J’empaquette deux nouveaux onigiris et une pâtisserie à la patate douce et je me mets en route. Pour ne pas allonger la marche de plusieurs kilomètres, je pensais suivre sur une certaine distance l’ancienne voie désaffectée depuis la construction de deux chaussées parallèles dans deux vallées, l’une pour le trafic ascendant et l’autre pour le descendant. Mais un écriteau m’avertit : le dernier typhon a causé de gros dégâts et le pont s’est rompu. J’opte donc pour la version longue de la promenade. Mon sentier me mène en pleine forêt, sur une piste à peine visible dans la végétation. Après le parcours de la veille, je ne m’attendais pas à avoir du mal à trouver mon chemin. J’arrive à une rivière, mais, en guise de passerelle, un arbre déraciné est couché en travers du courant sur la moitié de la largeur. Il est suivi d’un tronc instable puis d’un gros caillou. Je m’étonne de ce laisser-aller de la part des Japonais, si portés sur la sécurité. Je traverse tant bien que mal, puis je grimpe, je grimpe, c’est très raide et glissant. Bien que je doive m’agripper aux arbres pour me hisser, je suis contente de faire ce chemin à la montée, car la descente serait vraiment dangereuse. J’arrive, finalement, à un haut pâturage, jumeau de nos alpages, sauf qu’il n’y a plus de vaches en cette saison. Je suis seule, loin de tout, avec un chemin qui s’égare dans la nature. De plus, une série de panneaux avertissent des mauvaises conditions du parcours, dont le tronçon que je viens de faire. Je me disais aussi que c’était fort peu japonais de ne pas nous avoir mise en garde…

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Marches à perte de vue

Il n’est que midi, mais j’abrège ma pause car, en cette saison, la nuit tombe tôt et Dieu sait ce que me réserve la suite. Sage décision! Le chemin devient de plus en plus mauvais. A un endroit, toute la pente s’est effondrée, des arbres, racines à l’air, retiennent à peine le terrain. Néanmoins, les fonctionnaires de service sont passés par là, car le tout est barré de bandes rouges: attention, attention. Il faut bien passer pourtant et une voie de fortune a été installée. Je n’ai guère envie de redescendre sur une piste du même acabit et je décide donc de gagner la grande route et de rentrer en bus. Le terminus sert de station de base pour l’ascension du sommet qui commence par des escaliers montant à perte de vue pour se perdre dans les nuages. Près de 1500 marches! Ils sont bordés de part et d’autre d’une large allée zigzagante qui, d’après les photos, fait office de piste de ski. Toute cette installation a dû coûter des années de travail - et le délogement de quelques animaux sauvages, dont les ours. J’aperçois tout de même un groupe de daims tapis dans la brume, qui drape la montagne. Le temps si radieux, il y a à peine une heure, a viré au brouillard et au froid. Je suis gelée. Il faut dire que je suis à près de 2’000 mètres. Eh bien, aujourd’hui, on ne peut pas prétendre que j’ai suivi la loi du moindre effort. Gravir un tel dénivelé et redescendre en bus… Le contraire n’aurait-il pas été plus rationnel?

Et les temples dans tout cela? Demain, peut-être….