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Kathmandu

Etudier en tailleur

Je suppose que tout étudiant, au retour d'un échange universitaire, essaie d'éviter la fameuse question «Alors... comment c'était?». Cet article m'oblige cependant à me replonger, depuis mon bureau, dans une réalité qui paraît bien lointaine, 15 mois après mon retour.

Il a fallu pour y parvenir faire appel aux centaines de photos, au blog tenu pour les amis et la famille, et surtout, écouter au volume maximum toutes les musiques népalaises, bollywoodiennes ou tibétaines à disposition! Mes colocataires apprécient. Avec un peu d'effort, je me revois presque sur les bancs (ou plutôt les coussins) de l'Université de Kathmandu, j'entends le bruit continu des klaxons, je retrouve les multiples odeurs, couleurs et sensations de la rue népalaise; et pas seulement ça, je retrouve également les interrogations qui apparaissent forcément lorsqu'on se déplace, qu'on s'installe dans un nouveau lieu et une nouvelle culture.

L'uni à l'heure bouddhiste

Je suis parti au Népal en juin 2008 pour un semestre d'études et 7 mois de voyage à Kathmandu, dans les montagnes du nord-ouest du pays et en Inde. Difficile de dire quelle période de ce voyage a été la plus stimulante, tant Kathmandu, carrefour de cultures, semble être l'endroit rêvé pour un étudiant en religions de l'Inde et en civilisation tibétaine.

Repoussés donc dans les souvenirs, les amphithéâtres, salles de cours et couloirs gris de l'Anthropôle! Ils ont laissé place aux tangkas (peintures traditionnelles religieuses) et statues qui ornent les murs blancs du monastère Ka-Nying Shedrup Ling. Ce dernier héberge le Centre for Buddhist Studies de l'Université de Kathmandu. Pas de chaises, mais des coussins où l'on s'assied en tailleur, première difficulté que rencontre un étudiant étranger à son arrivée! Là, l'université s'adapte à son cadre, le monastère, et à son rythme de vie, ponctué par les jours saints bouddhistes. Les prières des moines emplissaient bien souvent les salles de classe pendant qu'un khenpo (docteur dans l'académie théologique tibétaine) nous expliquait un point particulièrement difficile d'un texte philosophique tibétain. Impossible de comparer l'étude du bouddhisme et de la civilisation tibétaine en Europe ou au Népal, au contact direct de cette culture bien vivante. Malgré ce cadre idéal, j'ai eu l'affront de ne pas revenir complètement bilingue, loin de là, ni d'être devenu, d'ailleurs, un quelconque expert en bouddhologie! C'est peut être que tout m'attirait dehors, loin de l'université.

Au carrefour des cultures

Le Népal est une région passionnante. Jeune république (le roi a dû abdiquer en 2006), le pays regroupe des populations variées: montagnards bouddhistes des sommets enneigés, agriculteurs hindouistes des plaines arides du Teraï, nouvelle classe moyenne de Kathmandu, etc.

Située à 3'000 mètres d'altitude, la capitale est devenue, au fil des ans, multiculturelle et multilingue, accueillant des ethnies de tout le pays, certaines à l'année, d'autres durant les mois les plus froids de l'hiver. Elle constitue ainsi un point de rencontre incroyable entre deux civilisations: l'indo-européenne d'une part et la tibéto-mongole d'autre part. Pas étonnant donc qu'une partie de la communauté tibétaine en exil ait trouvé refuge à Bodnath, dans la banlieue de Kathmandu.

Ce petit village tamang - une ethnie des montagnes népalaises - a explosé dans les dernières années pour devenir un centre économique à succès (ce qui ne va pas forcément de pair, malheureusement, avec une architecture à succès!). En effet, la communauté tibétaine, bien que privée de nationalité et sujette aux changements de politique du gouvernement népalais et de son allié chinois, a réussi à développer une activité économique florissante, ce qui mène parfois à des incompréhensions de la part des populations indigènes.

La communauté tibétaine s'en sort bien mieux que le Népalais moyen. Et pourtant, ce dernier ne reçoit pas la moitié du quart de l'attention internationale accordée aux Tibétains.

L'auberge... népalaise

Autant l'avouer tout de suite, au risque de décevoir les idéalistes, ce cadre extrêmement stimulant ne m'a pas amené à renoncer à toute habitude occidentale. En effet, la vie estudiantine du Center for Buddhist Studies, où la majorité des étudiants sont des Américains ou des Européens convertis au bouddhisme, se développe autour d'un groupe d'expatriés qui, pour la plupart, vivent dans des conditions extrêmement agréables.

Être étudiant occidental à Kathmandu est de fait assez simple. Se déplacer dans la ville en bus (20 ct. le trajet) ou en taxi (environ 2.- CH F pour 30 minutes) est très économique; sortir le soir est possible, malgré la police qui vient tout interrompre à 23h (ce qui donne lieu à des scènes irréelles de couvrefeu); et trouver un appartement s'avère commode. Avec l'aide de l'université, les colocations se forment vite parmi les étudiants étrangers. J'en ai profité à mon tour après avoir vécu deux mois en famille d'accueil tibétaine.

Mais l'auberge espagnole version népalaise comporte quelques difficultés, que l'on soit étranger ou non. Malgré tout ce qu'on y a apporté, notre «auberge» n'a pas pu échapper aux problématiques locales. Le Népal connaît en effet des difficultés structurelles extrêmement importantes, accentuées par la pression des deux géants qui l'entourent: l'Inde et la Chine. De là découlent des aberrations telles qu'un manque chronique d'électricité, et ceci même si le Népal est le château d'eau de l'Asie. Au plus fort de l'hiver (la saison sèche), nous n'étions alimentés que 8 heures par jour. La lueur de la chandelle est donc venue bien souvent mettre un brin de romantisme dans les études, donnant à cet échange un goût délicieusement exotique et palpitant.

Afin de sortir de cet exotisme, j'ai eu la chance de rencontrer des étudiants népalais et tibétains qui m'ont permis non seulement de sortir de l' «aquarium» occidental mais également de découvrir les préoccupations de la jeunesse népalaise au cours de discussions dont les thèmes ressemblaient à ceux que nous pouvons avoir en Suisse: sorties, perspectives d'emploi, engagement pour la communauté... mais aussi, plus dramatiquement: comment sortir du Népal, seule voie visible vers un avenir dégagé.


A l'école de la théologie

Le système universitaire népalais est largement basé sur le système américain. Au Centre for Buddhist Studies, la langue d'enseignement est l'anglais et un traducteur est présent lorsque les enseignants tibétains ne le parlent pas.

L'école propose des études théologiques, et c'est peut-être ce qui a le plus troublé l'étudiant en histoire des religions et en civilisation tibétaine que je suis. La prière précède certains cours et les enseignants de philosophie sont des moines ayant suivi le cursus extrêmement exigeant aboutissant au titre de khenpo. Ces cours de philosophie se penchent sur l'explication d'un texte du Canon tibétain et constituent la base des études, qui sont complétées par des cours de langue tibétaine - classique et actuelle.

La charge de travail m'a bien souvent surpris, entre les traductions de tibétain classique et la révision du cours de philosophie. Car si les examens sont plutôt plus faciles qu'en Suisse, le travail est bien plus soutenu durant le semestre. Par exemple, chaque séance de philosophie était précédée par un tirage au sort qui désignait un élève chargé de répondre à une question, portant parfois sur le texte, parfois sur un thème plus général de la philosophie tibétaine. Cette possibilité m'a toujours beaucoup effrayé mais je m'en suis néanmoins sorti à chaque fois que le sort me désignait. Je n'ai toujours pas compris comment... probablement une histoire de Karma!