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Passer par la transdisciplinarité

La rubrique 360° brosse chaque mois le portrait d'une haute école

Campée au bord du Lac Léman, l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne fait figure de pôle d'excellence. Pas moins de 13 formations complètes y sont proposées - en ingénierie, sciences de base, informatique et communication, sciences de la vie, ainsi que dans le domaine de la construction, l'architecture et l'environnement. Bilan de santé d'un campus en perpétuelle évolution avec Jérôme Grosse, responsable de la communication.

Quels sont les défis qui aujourd'hui participent au rayonnement de l'EPFL?
Au chapitre des projets d'enseignement, nous nous trouvons dans une phase de consolidation de Bologne. Après les grands chantiers, nous passons par un stade de consolidation des programmes et de développement de filières à cheval entre plusieurs disciplines: sciences exactes et sciences humaines, sciences de la vie et sciences de l'ingénieur. A la rentrée 2009-2010, nous avons ainsi lancé un mineur en «Asian Studies». Ces filières permettent d'entreouvrir l'esprit des ingénieurs. Il leur faut ce bagage culturel et émotionnel pour appréhender des pays comme l'Inde, le Japon ou la Chine.

Par ailleurs, nous travaillons beaucoup sur l'amélioration de l'enseignement. Comme le dit Pierre Dillenbourg, responsable du CRAFT, l'objectif n'est pas de se lancer dans cette utopie des années 90 qui consistait à faire de l'enseignement à distance et à remplacer le professeur par un robot; au contraire, il s'agit de développer des outils d'aide à l'apprentissage qui s'adaptent aux besoins des étudiants et non aux fantasmes technophiles.

En terme de recherche, les projets foisonnent. Citons par exemple le Blue Brain, projet lié au cerveau qui est à la fois pharaonique, audacieux et extrêmement porteur. Nous en entendrons certainement parler cette année, car son développement nécessite une plus grande assise scientifique et financière.

Le transfert de technologies présente aussi son lot de défis. Aujourd'hui, le monde capitaliste est en crise et les investisseurs manquent de confiance. Cette spirale négative nous impose de trouver d'autres solutions. L'une d'entre elles passe par la transdisciplinarité, qui s'articule autour de notre capacité à mettre des chercheurs en relation avec différents environnements pour trouver des applications nouvelles. L'entreprise EndoArt est à ce titre un exemple des plus parlants: en développant une composante destinée à la cardiologie, elle a permis de créer un anneau gastrique et a donné naissance à une start-up magnifique vendue à près de 100 millions!

Qu'en est-il des déve loppements architecturaux sur le campus?
Le développement de l'enseignement, de la recherche et du transfert de technologies sont nos trois missions. Cela s'accompagne nécessairement d'une évolution de l'environnement. Nous avons atteint un stade de maturation en transformant un campus d'auditoires avec une architecture rigoriste et austère en un campus plus vivant, plus urbain. Nos souhaits de développer un centre de logements, un hôtel pour les congressistes, et surtout le Rolex Learning Center, s'inscrivent dans la démarche d'offrir aux étudiants un environnement adéquat pour la réussite de leurs études. C'est à la fois un lieu d'études et de rencontre car on réussit mieux en groupe que seul. Un étudiant passe la moitié de son temps à travailler dans ce type de bâtiment.. Nous avons réussi ce pari double de privilégier une architecture audacieuse tout en répondant à ces objectifs sociaux.

Nous avons encore plusieurs grands projets: le centre de conférence - avec une salle principale modulable de 3'000 places, il sera l'un des plus grands et des mieux équipés en Europe -, l'extension des halles de mécanique - qui permettra de rassembler des équipes administratives - et surtout le nouveau centre de neuroprothèses - lancé par différentes fondations (Defitech, Famille Bertarelli etc.) il y a un an et demi, ce projet unique et visionnaire est le premier au monde à rassembler toutes ces compétences.

Le célèbre ranking de Shanghaï positionne l'EPFL en tête de fil dans la catégorie ingénierie, technologie et informatique. Qu'est-ce que cela vous inspire?
Bien figurer dans ce ranking, qui plus est de façon constante, est un motif de satisfaction. Il faut cependant analyser ce type de classement avec du recul. Le nombre d'indices pris en compte est considérable et laisse place à une part de subjectivité. Certains facteurs, comme par exemple le nombre de prix Nobel, peuvent pénaliser des jeunes écoles comme l'EPFL.

De façon globale, les indices actuels de l'EPFL sont l'expression d'un développement sans précédent en Europe, que ce soit en terme de subventionnement, de transfert de technologies ou encore de qualité des chercheurs qui viennent chez nous. C'est de bon augure pour l'EPFL, mais aussi pour la Suisse. Elle a la chance de disposer de deux très grandes écoles polytechniques, ce qui est un moteur pour l'industrie et la science.

L'EPFL et l'EPFZ se livrent une forte concurrence pour l'attribution des crédits. Parvenez-vous malgré tout à une saine émulation?
La concurrence est inhérente au domaine scientifique. Quand un laboratoire sort un résultat quelque part dans le monde, un autre laboratoire se penchera sur ces résultats pour les critiquer ou pour les dépasser. Ce foisonnement international et collectif est le moteur même de la communauté scientifique.

Sur le plan financier, la concurrence est certes présente entre l'EPFL et l'EPFZ, mais cela fait partie d'une sorte de jeu qui est réglé en grande partie par des ratios de partage du financement. Notre véritable concurrence aujourd'hui est nationale, thématique - voire allocation des ressources entre les différents départements de la confédération - et surtout internationale. C'est pour cela que nous sommes aussi attentifs à être présents dans les grands concours de subventions publiques européennes qu'à prévenir d'éventuels risques de coupures financières dans le domaine universitaire suisse.

Les frontières entre des disciplines autrefois cloisonnées ont sauté. Comment appréhendez-vous ce passage d'une école d'ingénieurs à une université technologique?
Nous évoluons dans un environnement complexe qui dépasse la seule question de nos compétences scientifiques et techniques. Nos étudiants doivent être amenés à appréhender la vie dans toute sa complexité. Cela passe notamment par un développement accru des cours de sciences humaines et dans une pédagogie qui vise à développer l'esprit critique. Plus tard, les ingénieurs seront non seulement évalués en terme de compétences professionnelles, mais aussi en terme de team management, de gestion des conflits, d'adaptabilité à des clients ou des cultures professionnelles très variées. La culture générale est à ce titre fondamentale.

L'EPFL s'est déployée dans le paysage romand en intégrant notamment l'Institut de microtechnique de l'Unive rsité de Neuchâtel. Quelle est votre stratégie?
Il n'existe pas de plan ou de vision prédéfinie. Nous nous devons d'être le plus performant dans notre domaine, et cela passe par des collaborations. L'EPFL est à ce titre très sollicitée et essaye de privilégier celles qui sont les plus pertinentes en termes scientifiques et géostratégiques. La microtechnique étant une forte composante de l'EPFL, le mariage avec l'institut de Neuchâtel s'est fait naturellement. Le site a toutefois été maintenu là-bas. Qu'il y ait un institut de microtechnique très fort en région neuchâteloise, au coeur du bassin horloger, c'est essentiel.

Et sur le plan international, qu'en est-il du défi de créer une filiale dans l'émirat de Ra s al-Khaimah?
Le projet vise à construire un hub scientifique unique dans la région des Emirats et du Golf, qui fasse sens par rapport aux besoins locaux, notamment en matière de nouvelles énergies. Il est important que des synergies puissent se développer avec la formation dispensée à Lausanne. La plupart des contours sont définis, mais il reste notamment à présenter les aspects architecturaux. C'est un processus lent et nous reviendrons au printemps avec des informations plus concrètes.

L'EPFL demeure une enclave fortement masculine. Où en est-on avec la promotion des femmes?
Il s'agit d'une préoccupation constante. Nous avons certes franchi un cap en passant de 12 à 26% d'étudiantes en 10 ans, mais la progression n'est pas suffisamment significative au sein du corps professoral. Cette problématique exige une vigilance de tous les jours, au risque de régresser.

Concrètement, une équipe travaille quotidiennement à développer des ateliers et des solutions itinérantes. Nous disposons notamment d'un bus qui rallie les écoles romandes. L'objectif consiste à la fois à promouvoir les sciences auprès des jeunes et à faire un peu de prosélytisme sur les carrières féminines. Car les préjugés se développent très tôt au coeur des foyers familiaux ou dans les classes.

La tâche demeure complexe. Il s'agit d'une part d'affronter le milieu familial qui est extrêmement structurant. D'autre part, nous devons aider les enseignants du degré secondaire à mieux inciter les filles à entreprendre des études scientifiques. Il nous incombe enfin d'adapter l'image de l'EPFL et des débouchés professionnels.

Quels arguments avanceriez-vous pour qu'un étudiant choisisse votre école?
On y trouve plus de 120 nationalités, beaucoup d'associations d'étudiants et on y parle plus de 10 langues. L'EPFL est extrêmement bien profilée en terme de réputation et en terme d'ouverture culturelle et scientifique. Elle dégage un vrai dynamisme et maintient un niveau d'excellence pour des étudiants qui se destinent à travailler dans des entreprises suisses ou internationales.

Crédit photo: A. Herzog

L’EPFL en chiffres
-- Près de 11’000 personnes sur le campus
-- 7365 étudiants
-- 1’483 collaborateurs techniques et administratifs
-- 250 professeurs
-- 125 nationalités
-- Plus de 3’000 étudiants internationaux
-- Plus de 50% de professeurs provenant de l’étranger
-- 10.9% de femmes professeures
-- Plus de 100 start-up sur le site
-- Plus de 340 laboratoires et groupes de recherche
-- 13 formations complètes
-- 194 millions de CHF de fonds de tiers en 2008
-- 749 millions de CHF de dépenses en 2008

«Un emblème de l'esprit EPFL»

Le Rolex Learning Center ondule au coeur du campus Ouvert le 22 février dernier, ce bâtiment innovant regroupe de nombreuses infrastructures consacrées aux études, à l'enseignement, à la recherche, aux contacts sociaux, aux loisirs et à l'administration. Dessiné par le bureau d'architecture japonais SANAA dirigé par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, le Rolex Learning Center a été pensé pour favoriser de nouvelles méthodes d'études et de nouveaux modes d'interaction.

Dimension relationnelle

Alors que d'aucuns accordent à ce projet audacieux une portée essentiellement communicante, Jérôme Grosse nuance: «Depuis son ouverture nous avons comptabilisé plus de deux fois plus de consultations dans la bibliothèque, preuve que la première fonction de lieu d'études fonctionne à merveille. Par ailleurs, ce qui est intéressant dans cette construction, c'est son horizontalité. A l'inverse de ces grandes tours qui expriment le machisme et le pouvoir, le Rolex Learning Center remet au goût du jour l'idée qu'il faut des espaces ouverts, lumineux et qui ont du caractère. Il répond au besoin de vivre ensemble du XXIème siècle qu'on avait peut-être un peu perdu avec le virtuel. C'est un emblème de l'esprit humain, de l'esprit EPFL.»

Crédit photo: H. Suzuki