Carence vitaminique

À force d’étudier assise à des bureaux trop bas, j’ai mal au dos. Pire, la douleur s’élance dans ma jambe qui, depuis quelques jours, me fait terriblement souffrir. Le trajet jusqu’à l’université que je parcours allégrement en temps normal est devenu une torture, de sorte que je me demande chaque matin si, oui ou non, je vais en cours. De la résidence estudiantine à la station de métro, ce sont environ quinze minutes de marche d’un pas normal, vingt-cinq d’un pas de Japonaise chaussée de talons hauts (lorsque ce n’est pas le cas, elles portent des converses délacées, ce qui n’est pas mieux pour la stabilité des chevilles) et quarante minutes de mon pas d’escargot qui traîne la patte. Il l’a, d’ailleurs, tellement traînée qu’il l’a perdue. Comme dirait Kipling : voilà pourquoi, oh mieux aimés, les escargots n’ont pas de pattes.

Ainsi handicapée, j’évite le plus possible de marcher. Pas question de faire un trajet exprès au magasin. Quand je rentre des cours, je n’ai pas le courage de rajouter les dix minutes à mon épreuve quotidienne pour aller à la galerie marchande. Je m’approvisionne donc dans les échoppes sur mon chemin. Je passe devant une multitude de restaurants et gargotes, quatre distributeurs de boissons, une école, un temple, des policiers fort attentifs et attentionnés, un coiffeur, une auberge japonaise, une boutique d’habits, une clinique dentaire, mais pas de supermarché. À la sortie du métro, il y a bien un magasin d’articles de ménage qui propose, en devanture, une série de soupes aux nouilles et tout près, un « conbini ».  Les « conbinis » tirent leur nom de l’anglais, car ils sont censés être « convenient », c’est-à-dire pratiques. En effet, ils ne se contentent pas de vendre des journaux, des sandwichs ou des boissons, mais offrent une variété de services. On peut y payer ses factures, acheter des billets de concert, de cinéma et même d’avion. Mais, côté nourriture, ils vendent principalement des mets pré-cuisinés qui ne me tentent pas. Ce que je cherche, ce sont des fruits et des légumes frais. J’ai eu le privilège d’en avoir à profusion, directement du potager durant toute mon enfance. Ces bonnes habitudes alimentaires me compliquent la vie ici. Au Japon, il est plus facile - et bien plus économique - de manger un plat de riz au curry au restaurant ou un bento (boîte repas avec du riz, de la viande ou du poisson et un soupçon de légumes marinés) que des fruits. Me voilà donc réduite, depuis quelques jours, au régime de soupes instantanées. Ce n’est pas mauvais, je le concède, mais un peu lassant à la longue, même s’il en existe une variété quasi infinie. Elles sont surtout très salées et, à ce rythme, quand ma jambe sera remise, j’aurai mal à l’estomac. Eh bien non, je vais de ce pas (c’est le cas de le dire) mettre à profit le tout dernier service des conbinis et me faire livrer à domicile une caisse de iokan, dekopon, ponkan, kiyomi, kawachi-bankan, toutes sortes des citrus que je viens de découvrir. Je n’aurais même pas à les porter. Ces conbinis, quelle bonne «combin-e» !

Japon, nourriture, Tokyo, sushis, légumes